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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

— Cela n’est rien, me dit-elle, j’ai vu un médecin, et il m’a rassurée. Il me faut du repos seulement.

— Mais encore vous faut-il des soins !

— Cette brave femme que vous venez de voir me donne les siens.

— Je vais écrire à Olivier, lui dis-je, ou bien j’irai le voir.

— Pas un mot là-dessus, me répondit-elle, et elle ajouta très doucement : Je ne vous demande pas même s’il est venu.

Je gardai le silence, mais je m’aperçus qu’elle avait deviné ce que j’aurais eu à lui répondre, si elle m’avait interrogé à cet égard.

— Je vous ai fait venir pour vous demander un service, continuat-elle : j’ai écrit à deux ou trois personnes de ma famille pour qu’elles me fissent parvenir de l’argent ; mais, en attendant qu’elles me répondent, je me trouve obligée de recourir à d’autres moyens : j’ai heureusement quelques bijoux, je vous prie d’aller les engager.

Et elle me désigna une petite boîte qui renfermait une montre, quelques bagues et une petite chaîne de fantaisie.

— Ce n’est pas tout, continua Marie, je meurs d’ennui dans cette chambre. Ces quatre murs m’étouffent ; j’ai besoin d’air, de mouvement. Pendant trois semaines, je n’ai point mis le pied dans la rue, et je souffrais déjà de ma réclusion, bien qu’elle pût me sembler douce. Maintenant je sens que je mourrais, si je devais rester prisonnière dans cette chambre. Enfin je veux sortir de temps en temps, et, pour plus de précautions, je veux me déguiser. Quand vous aurez l’argent des bijoux, vous m’achèterez des habits d’homme.

— Est-ce sérieux ? lui demandai-je un peu étonné.

— Sans doute, répondit Marie ; voyez plutôt, me dit-elle, j’ai déjà commencé mon déguisement.

Et, plongeant sa main sous son oreiller, elle me fit voir, enveloppée dans un mouchoir, sa magnifique chevelure noire, tombée fraîchement sous le ciseau. — J’en ai conservé juste ce qu’il faut pour avoir l’air d’un petit collégien, continua-t-elle en retirant son bonnet, pour me montrer sa nouvelle coiffure.

La vue de cette mutilation me fit frémir. — Mes pauvres cheveux ! murmura-t-elle en noyant ses mains dans leurs longues tresses, c’était ce que j’avais de mieux ! Quand j’étais jeune fille, toute jeune, on m’avait mis dans un couvent ; j’aimais cette douce vie passée dans ma cellule tranquille, les promenades sous les tilleuls du jardin, les chapelles parées pour les jours de fête ; j’ai eu alors la pensée de prendre le voile ; mais il aurait fallu couper mes cheveux, et ma mère n’a pas voulu : ce serait un meurtre, a-t-elle dit. Eh bien ! le meurtre est accompli cependant. Mes pauvres cheveux ! c’est vrai qu’ils étaient bien beaux ; aussi nous en avions bien soin, autrefois.