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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

— Je n’en sais rien, me répondit-elle. Tenez, je crois que je deviens folle.

Elle paraissait en effet très agitée. Je lui rendis ta lettre.

— Non, me dit-elle, je ne veux point la prendre ; brûlez-la. Si j’étais arrêtée et qu’on la trouvât, cela pourrait compromettre Olivier. Il y a songé, car elle n’est point signée.

— C’est aussi ce que je pensais, lui dis-je ; il y a pensé, et, plus que la prudence, c’est cette crainte qui le retient éloigné de vous dans le moment même où vous auriez le plus besoin de sa présence.

Elle ne répondit rien, me prit la lettre des mains, la déchira en petits morceaux qu’elle jeta au feu les uns après les autres. Bien qu’elle fût toujours toute prête à s’en aller, elle paraissait avoir oublié ses projets de départ, et, craignant de les lui rappeler, je n’osais pas la questionner sur ce qu’elle comptait faire dans la nouvelle situation des choses. L’un et l’autre, nous restâmes silencieux pendant quelque temps. Ce fut elle qui la première rompit le silence.

— Allez me chercher une voiture, me dit-elle.

— Pour aller où, puisque l’on vous cherche ?

— Je ne veux pas rester ici, répondit Marie ; cette chambre m’est odieuse !

Je compris le motif délicat qui lui en faisait détester le séjour. Ce fut alors qu’il me vint à l’idée de lui proposer une chambre garnie située sur le même carré. L’endroit était convenable, le loyer d’un prix modique. — Vous serez chez vous et bien chez vous, lui dis-je. Elle consentit, j’allai arrêter la chambre, qui fut sur-le-champ mise en état de la recevoir. — Voici deux clés, lui dis-je quand elle fut emménagée ; si vous le désirez, j’en ferai parvenir une à Olivier.

— Non, répondit Marie en prenant les deux clés ; vous lui direz que je suis partie, il m’aura bien vite oubliée. D’ailleurs n’a-t-il pas commencé déjà ?

— Qui peut vous le faire supposer ? lui demandai-je.

— J’en avais déjà le pressentiment, me dit-elle, et en baissant les yeux, elle ajouta : J’en ai eu la preuve cette nuit.

— Cette nuit ! m’écriai-je en rougissant à mon tour, vous aviez promis de l’oublier.

— C’est aussi la dernière fois que j’y reviens, reprit Marie. Olivier me trompe, je le sais ; vous m’avez appris la cause réelle de ces absences si longues dans ces derniers jours ; je ne vous en veux pas, Olivier lui-même ne pourrait pas vous en vouloir, puisque vous étiez hors d’état de comprendre les suites que pouvaient avoir vos paroles. Je ne pense pas avoir été jamais légère dans mes relations avec vous ; mais Olivier a été imprudent, plus imprudent que coupable ; tout ce qui est arrivé est un peu sa faute sans doute et beaucoup celle de la fatalité.