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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

point l’air de me comprendre et demeura immobile. Je lui dis adieu comme j’avais l’habitude de le faire en nous quittant le soir ; elle ne me répondit pas. Et toi, Olivier, pendant ce temps-là, que faisais-tu ? Toi, Olivier, tu riais en nous regardant tous les deux. Il aurait suffi d’un seul mot de toi pour que Marie renonçât aux préventions que tu lui avais fait injustement concevoir à mon égard, pour que sa main ne se fût point refusée à toucher la mienne en signe de bonne union. Son regard bienveillant m’aurait suivi jusqu’au seuil, elle m’eût appelé mon ami, et je serais resté le tien. Tu ne l’as pas voulu, et tu m’as laissé partir. J’ai marché tout droit devant moi ; je suis entré dans un cabaret… Ce que je fis du reste de ma soirée et de ma nuit, je ne le sus que le lendemain matin, en me réveillant dans ma chambre. Au pied du lit où j’étais couché tout habillé, Marie sanglotait, demi-morte et demi-nue. N’ayant pas conscience de ce qui s’était passé, j’allais lui demander l’explication de ma présence chez elle à une heure si matinale que c’était presque encore la nuit. Marie me regarda avec stupeur, se couvrit le visage de ses mains, et murmura quelques mots noyés dans les larmes, qui me firent cependant comprendre que j’avais commis un crime. Comment avais-je pu faire ? quelle fatalité m’y avait poussé ? C’est ce que je découvris un peu plus tard. La veille, au lieu de passer la nuit avec ta maîtresse, tu l’avais quittée à onze heures. Au lieu de rentrer à ma nouvelle demeure, une inexplicable fatalité mêlée à un reste d’habitude m’avait ramené à la porte de l’ancienne. J’avais sur moi une double clé de la chambre que je t’avais prêtée. J’étais fou. Je suis entré chez moi sans même savoir où j’étais. Marie était plus belle encore dans son sommeil, et nous étions seuls. Voilà ce qui s’est passé il y a dix ans ; comme je te disais en commençant ce récit, Marie a été ma victime, rien de plus.

Plusieurs motifs ont à cette époque contribué à ce que tu ignorasses les événemens de cette nuit. Marie, à qui j’avais raconté la longue préface de souffrances dont le dénoûment, bien qu’il fût étranger à ma volonté, devait me faire haïr d’elle, me prit presque en pitié, si elle ne me pardonna pas. Non-seulement elle me promit le silence, mais encore elle me fit jurer que je me tairais moi-même.

— Et maintenant, me dit-elle quand je lui eus promis de faire ce qu’elle me demandait, lorsque Olivier va rentrer tout à l’heure, vous inventerez une histoire pour lui expliquer mon absence.

Ne comprenant pas d’abord ce qu’elle voulait faire, je la priai de s’expliquer elle-même.

— Croyez-vous, me dit-elle, que je vais rester dans cette chambre une heure de plus, et pensez-vous que j’oserais y revoir Olivier ?

— Mais où voulez-vous aller ?

— Chez ma mère, répondit Marie.