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m’apprenait rien de nouveau ; mais ton absence quotidienne n’étant plus expliquée par une nécessité, où passais-tu le temps que je tenais compagnie à ta maîtresse ? que faisais-tu lorsque tu nous quittais le matin sous le prétexte d’aller travailler ? Dans ces huit derniers jours surtout, j’avais remarqué en toi une préoccupation peu ordinaire ; tu quittais Marie plus tôt chaque matin, et chaque soir tu revenais auprès d’elle un peu plus tard. Tu n’avais plus, comme dans les premiers jours, ce besoin de solitude qui te faisait trouver tant d’ingénieux prétextes pour m’engager à vous laisser seuls ; si je tardais parfois à m’en aller, tu me retenais même quelquefois jusqu’à des heures avancées dans la nuit, et, si mal habile que je pusse être aux façons de l’amour, j’avais reconnu dans les tiennes des indices qui trahissaient un commencement de satiété.

Ce n’était pas seulement un caprice qui la veille t’avait retenu au dehors ; ce que je venais d’apprendre constituait une infidélité en règle. Je m’en retournai avec l’intention bien arrêtée d’en instruire Marie ; mais, arrivé à ma porte, je fus ébranlé par mille incertitudes, et puis ce rôle de dénonciateur me semblait odieux. Bref, je me condamnai au silence, espérant que ton inconstance deviendrait peut-être sérieuse, et me réservant alors d’agir au cas d’une rupture définitive entre ta maîtresse et toi. À tout hasard, j’attendis ton retour en me promenant devant la maison.

Lorsque tu revins, je n’eus pas même besoin de te questionner : tu m’instruisis le premier de l’intrigue banale dans laquelle tu t’étais engagé par suite d’un défi où ton amour-propre s’était trouvé intéressé. Tu accueillis assez maladroitement les observations que je hasardai, et, quand je te parlai de l’inquiétude où ton absence avait jeté Marie, tu affectas à propos d’elle un ton dégagé qui me sembla d’autant plus cruel, que ton indifférence paraissait sincère ; tu me traitas même de niais et de puritain. — Mais, interrompis-je, si au contraire c’était Marie qui eût pour un jour, ou pour une heure seulement, oublié ton nom pour apprendre celui d’un autre, ne deviendrais-tu pas à ton tour un peu puritain ou extrêmement niais ? — Bien qu’elle fût faite sur le ton de la plaisanterie, je remarquai que cette supposition avait suffi pour te faire pâlir.

— Cela est différent, me répondis-tu. Si parfois il m’arrive de faire ce qu’on appelle la cour à une de ces femmes pour qui la résistance est une fatigue, c’est une pure galanterie : quelques madrigaux entre deux quadrilles, un bouquet à la fin du bal, et, avant qu’un tour de cadran soit achevé, ma fantaisie sera passée, sans que rien puisse me la rappeler. Il n’en est pas de même de la trahison d’une femme. Quand cette femme n’est pas une coquette ou une misérable, sa faiblesse ne peut naître que de la violence même de son amour pour un autre que moi.