Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/513

Cette page a été validée par deux contributeurs.
507
LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

— Vous avez raison, fit Marie ; mais du moins n’est-ce pas moi qui l’abandonnerai la première.

Ayant ainsi parlé de toi, je l’entretins ensuite de sa situation présente. Elle me parut fort peu tourmentée. Son plus grand chagrin était causé par la réclusion complète à laquelle tu la condamnais. Elle ne jugeait point toutes ces précautions utiles.

Je passai ainsi auprès d’elle quatre heures délicieuses, m’enivrant de l’entendre et de la voir, content d’effleurer un pli de sa robe, heureux d’amener un sourire sur ses lèvres par le récit de quelque bouffonnerie d’atelier. Cette entrevue ne fut troublée par aucune mauvaise pensée, j’avais oublié même les suppositions que j’avais d’abord faites à propos de toi, et quand tu vins me rejoindre le soir, tu me trouvas calme auprès de ta maîtresse, sans que j’eusse besoin de me composer un maintien.

Cela dura pendant trois semaines. J’arrivais chez Marie à l’heure où tu la quittais, j’y passais la journée, dessinant pendant qu’elle brodait ; nous vivions comme deux camarades ; cependant je l’aimais chaque jour davantage. Pour ne pas me trahir, c’était une lutte continuelle que j’avais à subir avec moi-même, et pourtant, durant ces trois semaines, elle n’eut jamais l’occasion de soupçonner qu’une passion violente se débattait sous ma réserve apparente. Un soir, l’heure à laquelle tu rentrais de coutume étant passée depuis long-temps, Marie, inquiète de ne pas te voir arriver, me pria d’aller m’informer chez ton père du motif qui pouvait te retenir. À la moitié du chemin, je crus te reconnaître dans la rue. Tu n’étais pas seul ; une femme t’accompagnait. Je ne m’étais pas trompé, c’était bien toi, et, bien que je fusse passé presque à ton côté, tu ne m’aperçus pas, tant tu paraissais occupé de ta compagnie. Je vous suivis de loin pendant quelques minutes, et je vous vis monter dans une voiture de place ; il était alors près de minuit. Je n’avais pas besoin d’en savoir davantage ; je connaissais l’emploi de ta soirée et des heures qui allaient suivre. En d’autres temps, je n’eusse attaché qu’une médiocre importance à cette infidélité, qui pouvait n’être qu’une fantaisie, mais le moment me parut mal choisi pour satisfaire un caprice. J’allai retrouver Marie, je lui racontai une histoire pour justifier ton absence, et, comme un instinct de jalousie se révélait dans la difficulté qu’elle paraissait éprouver à se convaincre, je dus redoubler mes efforts pour la rassurer, et je plaidai ta cause aussi chaleureusement que si c’eût été la mienne propre.

Le lendemain, de grand matin, je courus chez ton père pour te prévenir de l’excuse que j’avais donnée à ton absence de la veille. J’appris là qu’on ne savait pas ce que tu étais devenu depuis une semaine, que tu avais cessé de prendre tes repas à la maison, et que depuis long-temps, d’ailleurs, tu n’y rentrais plus coucher. Ce dernier renseignement ne