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Elle causait avec un grand charme d’expression, pensant bien ce qu’elle voulait dire, et le disant mieux. Elle parlait avec une certaine abondance, qui n’était point seulement du bavardage féminin ; son esprit n’était point non plus l’écho des livres ou des conversations, il lui venait naturellement sans qu’elle parût s’en douter, car elle ne faisait ni geste ni pause formant parenthèse aux remarques ingénieuses de son discours, comme font les personnes pour qui le langage est un art. Elle me parut jeune, toute jeune, presque enfantine ; elle t’aimait alors comme tu ne fus jamais et comme tu ne seras plus aimé ; bien qu’elle fût de ton âge, sa tendresse avait de ces délicatesses maternelles qui distinguent les sœurs de charité. Chaque fois que je prononçais ton nom, elle rougissait légèrement, passait une main sur son front pour cacher sa rougeur, et posait l’autre sur sa poitrine agitée. Elle te jugeait bien ce que tu étais alors et ce que tu es resté toujours : un être tendre, faible, timide, et cependant volontaire, amoureux parce que tu étais jeune, vaniteux parce que tu étais poète ; au fond de tout cela quelques vertus réelles, l’enthousiasme, par exemple, et l’ébauche de tous les défauts. Elle m’interrogea sur ton talent, et me montra des vers que tu lui avais adressés.

— Ils me font plaisir, me dit-elle, sans doute parce qu’ils sont faits pour moi, et parce qu’ils sont faits par lui. Je ne m’y connais guère ; mais, si vous les trouviez mauvais, il ne faudrait pas me le dire, ajouta-t-elle en souriant d’un sourire qui semblait quêter néanmoins une approbation. — Je lui répondis aussi franchement que je l’aurais fait à toi-même. — Ce sont là, lui dis-je, des vers de premier amour et de première jeunesse, un bégaiement confus qui dit tout ce qu’on veut lui faire dire. Il se peut qu’Olivier ait pleuré en les écrivant ; mais un jour viendra où ces vers le feront sourire : ce jour-là peut-être sera-t-il devenu poète ; aujourd’hui ce n’est encore qu’un enfant qui rêve, cherchant à deviner la vie, comme on peut deviner la mer à l’embouchure d’un fleuve, ne sachant rien, et parlant de tout avec l’assurance fanfaronne des ignorans, parlant même du malheur, un peu comme les Juifs de leur Messie qu’ils attendent toujours, mais surtout parlant de lui quand il est auprès de vous, et parlant de vous lorsqu’il est avec d’autres.

— Oh ! vous le connaissez bien, répondit Marie, c’est un enfant ; un rien l’attriste, un rien le réjouit. Je fais la tempête dans son cœur avec un pli de mon front, et le beau temps avec un sourire ; mais je l’aime bien, allez, monsieur, et je l’aimerai tant qu’il voudra.

— Pensez-vous l’aimer toujours ? lui demandai-je. Ma question la fit tressaillir ; elle me regarda avec inquiétude.

— Je suis son premier amour, me dit-elle.

— C’est justement ce mot de premier amour qui exclut l’espérance d’amour unique.