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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

de la ménager, voici qu’on l’excite, voici qu’on essaie de l’alimenter, on veut en faire une distraction. Quand le Seigneur lui-même, craignant peut-être de faiblir, a répondu au diable, qui lui offrait la puissance de la terre : Vous ne tenterez pas votre Dieu, — un homme qui se dit l’ami d’un autre expose celui-ci à la tentation ; il soumet volontairement le sentiment le plus fragile de l’humanité au choc de la passion la plus formidable que l’on y connaisse. Et pourquoi ? Uniquement pour satisfaire son amour-propre. Par quel autre motif pouvais-je expliquer en effet l’épreuve que j’allais subir en me rapprochant de la femme que nous aimions tous les deux, et que je me mis alors à aimer avec une fureur augmentée de toute la haine que m’inspirait son amour pour toi ?

Cette épreuve, si douloureuse pour moi néanmoins, de quelque façon qu’elle dût se résoudre, ne devais-tu pas y trouver un motif à te glorifier toi-même ? Si j’avais dit à ta maîtresse un seul mot d’un amour que son intimité ne pouvait qu’accroître, elle m’eût repoussé sans doute avec indignation ; mais toi, moins indigné qu’elle-même, tu m’aurais pardonné mon aveu à cause du dédain avec lequel il aurait été accueilli. Si, au contraire, je devais continuer à souffrir en silence, ton orgueil eût encore trouvé son compte dans une rivalité muette, et cet amour, qui était la source de tes joies, te serait devenu plus cher, quand tu te serais bien convaincu qu’il était la source de mes larmes.

Dans la première visite que je fis à Marie, je dus cependant renoncer à l’idée qu’elle était ta complice : elle me remercia avec effusion de mon hospitalité, et, dès les premiers mots, pour rompre tout embarras, elle s’efforça de me mettre avec elle sur le pied d’une familiarité cordiale. — Grace à votre complaisance, si en étant chez vous je me trouve chez moi, me dit-elle sans accentuer l’intention que pouvait avoir cette espèce de jeu de mots, n’oubliez pas, monsieur, que vous êtes toujours chez vous. — Nous causâmes, moi assis à quelque distance de la chaise où elle travaillait à une broderie. Elle me parla avec modestie de votre liaison, de ton amitié. — Il vous aime beaucoup, et je serais moi-même une ingrate, si je ne m’associais pas à la reconnaissance d’Olivier, dit-elle en me tendant la main. — Elle savait, par ce que tu lui en avais dit, une partie de mon histoire ; elle m’invita à avoir confiance en un meilleur avenir ; elle me fit la leçon à propos de mon oisiveté, et me dit des paroles qui témoignaient un intérêt véritable. Comme je me plaignais de ma solitude, faisant un peu, je le confesse, la pose à l’élégie, elle s’offrit à être mon amie : je la regardai avec attention pendant qu’elle parlait ainsi, je craignais un piége ; mais elle me faisait cette offre avec un abandon qui ne permettait aucune équivoque.