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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

si promptement le pôle de toutes mes pensées. Ah ! désormais je ne vécus plus seul absolument, car j’avais une figure à faire passer dans mes rêves, non point une chimère née de mon imagination, mais un corps vivant dans lequel battait un cœur que j’entendais, hélas ! battre dans le cœur d’un autre. Depuis le jour où j’avais vu Marie, il ne s’en passait point un seul où je ne l’évoquasse dans ma solitude. Comme je l’asseyais avec complaisance sur ma meilleure chaise ! comme je lui demandais doucement pardon de la recevoir en aussi triste lieu ! combien j’étais heureux alors de m’étendre à ses pieds dans une attitude d’adoration, prenant dans la mienne sa main qu’elle me laissait prendre, la faisant docile à toutes mes fantaisies ! Ah ! folies belles, folies innocentes ! Soudain le bruit d’un pas qui sonnait dans l’escalier faisait disparaître l’apparition adorée, c’était toi qui montais. — Je viens de quitter Marie, me disais-tu en entrant ; et moi aussi tu venais de me la faire quitter. Tu me répétais comme de coutume ce qu’elle t’avait dit ce jour-là, et moi je ne pouvais répéter ce que je lui avais fait me dire.

Alors je commençai à comprendre cet impérieux besoin que les amans ont de parler de leur amour, moi, que le mien étouffait. J’allais dans les champs, où je passais des journées entières. Je marchais sans direction arrêtée, de ce pas rapide des insensés heureux, prenant la création pour confidente de ma joie, jetant le nom chéri au vent qui passait et le chargeant d’être le courrier qui redit mes aveux à celle qui portait ce nom. Il y a dans le bois beaucoup d’arbres qui savent tous mes secrets de ce temps, et le pied des passans a foulé bien des brins d’herbe qui furent jadis mes amis. Un jour, j’étais même parvenu à force de ruse à te faire emporter, pour le remettre à Marie comme venant de ma part, un bouquet que j’avais cueilli dans l’une des promenades faites en compagnie de son fantôme. Cette folie dura quatre ou cinq mois, et j’y trouvais une douceur réelle, un charme bienveillant qui pacifiait les révoltes de mon caractère.

Un matin, je te vis entrer chez moi la figure bouleversée. Marie, ayant laissé surprendre une de tes lettres par son mari, s’était, sur ton avis, dans la crainte des mauvais traitemens, laissé entraîner à fuir la maison conjugale. — Marie court un danger ; je l’enlève, me dis-tu, et j’ai besoin de ta chambre pour la cacher. — Que dire ? que faire ? Ce que j’ai dit et ce que j’ai fait : me retirer et vous laisser seuls.

Et maintenant, Olivier, imagine ce que j’ai dû souffrir en réalité durant la nuit que j’ai passée sous ta fenêtre, moi aimant déjà ta maîtresse que tu amenais chez moi, et jaloux de toi qui venais te réfugier avec elle sous la clé de mon hospitalité. Ah ! si mon rôle devint horrible dans cette affaire, il avait commencé par être bien douloureux du moins. Jusqu’alors je n’avais été que malheureux et fou. Comment je devins coupable et jusqu’à quel point je le suis, c’est ce qu’il me reste