Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/508

Cette page a été validée par deux contributeurs.
502
REVUE DES DEUX MONDES.

mouvement jaloux que je m’efforçais de réprimer quand tu me faisais le récit d’une entrevue plus tendre avec ta maîtresse, ni de ma joie mal dissimulée quand tu m’apprenais une brouille passagère entre vous, un rendez-vous manqué, une lettre restée sans réponse, ou n’importe lequel de ces incidens puérils qui alimentent la tendresse en l’irritant. Tu ne voyais rien, tu ne comprenais rien. Chacune de tes confidences était comme un clou que tu m’enfonçais dans le cœur pour y accrocher le portrait de ta maîtresse, et aucun pressentiment ne troublait ta confiance. Tu me disais naïvement : — Ah ! si tu connaissais Marie, tu l’aimerais aussi ! Si tu savais comme elle est belle, comme elle est bonne, comme nous nous aimons ! et que c’est une belle chose que deux êtres unis comme nous le sommes ! — En me parlant ainsi, tu prenais mes mains dans tes mains, chaudes encore de la pression des siennes, et tu m’inoculais pour ainsi dire cette fièvre de plaisir dont tu frémissais encore après avoir quitté Marie, comme une cloche qui vibre après qu’elle a sonné ; tu secouais dans l’humidité de ma chambre malsaine les parfums du mouchoir que tu lui avais dérobé, et, si je demeurais silencieux témoin de tes transports, tu accusais mon silence, et, comme un écho complaisant, tu m’obligeais à répercuter ta joie. Ô puissance de l’égoïsme ! pendant que ton enthousiasme faisait ainsi la roue devant ma tristesse, n’as-tu donc jamais songé que c’était peut-être chose cruelle, après tout, de parler si haut et toujours de ton bonheur et de ton amour dans cette mansarde sombre et au pied de ce lit solitaire ? Que de fois me suis-je demandé à moi-même en songeant à toi : Est-il niais ou méchant ? n’y a-t-il pas dans l’amitié qu’il me témoigne un peu d’ostentation et du désir d’être envié ? Le riche le plus charitable est-il vraiment celui qui, sortant la nuit d’un bal éblouissant, jette fastueusement sa bourse aux affamés qui battent la semelle sur un sol gelé ? N’a-t-il pas plus de pitié, le puissant qui, faisant l’aumône en secret, dérobe, en sortant de la fête, son opulent habit sous un humble manteau, afin que sa magnificence n’offense point les yeux de la pauvreté ? — Malgré moi, je te comparais à ce premier riche, et plus d’une fois j’ai puisé dans cette méchante pensée une aigreur dont tu cherchais vainement la cause.

Que te dirai-je de plus à présent que tu n’aies déjà deviné sans doute ? J’aimai Marie. Ce fut une passion singulière et fantasque, plus vaine que l’ombre d’une fumée, mais enfin c’était une passion, et pour qui n’a rien, peu devient tout. Tu m’avais souvent fait le portrait de ta maîtresse ; chose étrange, il ne ressemblait aucunement à celui que je m’en faisais moi-même. Un jour, j’allai vous épier dans un lieu où vous vous étiez donné rendez-vous. Je ne pus voir Marie que de loin et pendant un seul moment ; mais cet examen, si rapide qu’il fût, avait donné raison à l’image que je m’étais créée de cette femme, devenue