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REVUE DES DEUX MONDES.

— Je ne dînerai pas aujourd’hui, mais tu joueras, cher ange, lui dis-je en l’embrassant. Elle resta un moment toute rêveuse, comme si elle cherchait les mots pour me remercier ; mais, ne trouvant rien à dire, elle sauta sur mes genoux et m’embrassa de toutes ses forces, en m’appelant son ami. — Et maintenant, lui dis-je, il ne faut plus avoir peur de moi, et, quand tu seras bien contente, viens rire à ma porte.

Pendant une semaine, elle me tint fidèlement parole, et me venait voir deux ou trois fois chaque jour. Je me sentais redevenir meilleur au contact de cette innocence ; mais un matin la petite entra chez moi tristement pour me dire adieu : c’était l’époque du terme, et ses parens quittaient la maison. Où allaient-ils ? Je crus comprendre, dans ses discours, que c’était hors Paris. Comme elle me parlait en fouillant sur ma table, je remarquai qu’elle regardait, avec encore plus d’envie que de coutume, un objet qui déjà avait paru éveiller son désir : c’était un scapulaire, comme les religieuses en portaient jadis. Il m’avait, dans mon enfance, été donné par un vieux prêtre, et contenait une parcelle des os du saint, mon patron. — Puisque nous allons nous quitter, dis-je à la petite, je vais te laisser cela, pour que tu te souviennes de moi ; mais ce n’est pas un joujou, entends-tu bien ? c’est une relique qui porte bonheur à celui qui la possède ; on le dit du moins. Quand tu prieras Dieu, tu la prendras dans tes mains et tu le prieras pour celui qui te l’aura donnée : il en a besoin.

Elle secoua gravement la tête en signe d’assentiment et de promesse, et coula le scapulaire dans sa poitrine.

— Et toi, lui demandai-je en souriant, ne me donneras-tu pas aussi quelque chose pour que je puisse me souvenir de toi ?

Elle ne sembla point surprise de ma demande ; mais, après avoir paru réfléchir, elle me quitta brusquement en me faisant signe qu’elle allait revenir. Elle revint en effet un moment après, tenant quelque chose caché sous son tablier. — Voulez-vous cela ? me dit-elle en mettant dans ma main une petite couronne en feuilles de papier argenté ; c’est la couronne du prix que l’on m’a donné à mon école. Je vous aurais bien apporté le livre aussi, mais maman l’a serré pour me le donner à lire quand je serai grande.

Et, tout en parlant ainsi, elle me forçait par amusement à poser sur ma tête sa petite couronne. Quand je l’embrassai pour la dernière fois, un pressentiment sinistre me dit que je ne la reverrais plus ; l’enfant, de son côté, paraissait plus soucieuse de cette séparation qu’on ne l’est ordinairement à son âge. Il y eut même une certaine gravité enfantine dans sa manière de me dire adieu : on eût dit qu’elle comprenait tout ce qu’il y avait de hasardeux dans cette parole toujours triste.