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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

dans mes bras, je l’embrassai cent fois, je lui prodiguai toutes les caresses imaginables, en lui disant tout ce qu’on peut dire pour consoler ; mais elle sanglotait plus fort, et entrecoupait ses sanglots en répétant : Oh ! mon Dieu ! oh ! mon Dieu ! Plainte ou action de grace, cet appel, qui est au bout de toute espérance ou de toute misère humaine, me faisait frémir dans la bouche de cette enfant. L’accent avec lequel ce mot s’échappait de sa désolation étonnée semblait exprimer un reproche : — Ah ! mon Dieu ! voulait-elle dire peut-être dans son petit raisonnement, pourquoi me retirez-vous ma joie, puisque je l’avais méritée par mon obéissance, et que me dira ma mère en voyant brisé le joujou qu’elle m’avait donné pour me récompenser ? Elle me battra ou punira, bien sûr. Ah ! mon Dieu ! vous n’êtes pas juste.

— Ah ! misérable que j’étais ! dans le cœur d’un enfant qui matin et soir joignait ses mains pieuses pour sa prière innocente, j’avais fait naître le sentiment du juste et de l’injuste ! Un premier doute avait terni la blancheur de son ame ; pendant une minute, son ange gardien avait baissé la tête, et Satan s’était réjoui. Craignant que ses cris n’attirassent les voisins, je l’entraînai dans ma chambre.

— Pauvre enfant ! lui dis-je, pardonne-moi, je suis un malheureux qui souffre et qui ai voulu voir souffrir. Ton âge et ta faiblesse ne m’ont point arrêté dans ma lâche action. Ton plaisir bruyant troublait mon ennui solitaire ; j’ai voulu noyer ta gaieté dans tes larmes, et je me suis abattu sur toi, comme la bête de proie qui fond sur le petit oiseau.

La petite ne me comprenait guère sans doute, mais elle ouvrait de grands yeux étonnés en m’écoutant, et regardait avec tristesse les débris de son lapin, qu’elle avait ramassés dans son tablier.

— Tu es fâchée après moi ? lui demandai-je.

— Non, monsieur, me répondit-elle.

— Tu l’aimais bien, ton joujou ?

— Ah ! oui, monsieur, je n’en ai pas d’autres.

— Eh bien ! avec quoi t’amuseras-tu à présent ?

— Je ne m’amuserai plus. Et maman, qu’est-ce qu’elle va dire ? ajouta-t-elle avec une inquiétude qui fit de nouveau couler ses larmes.

— Rassure-toi et ne pleure plus, tu ne seras pas grondée et tu ne seras plus triste. Attends-moi un moment en regardant ces images, lui dis-je en ouvrant ma porte ; je reviens tout de suite.

Elle me laissa sortir sans me rien dire. J’allai chez un marchand de jouets du voisinage, où je vidai ma bourse, ce qui ne fut pas long. Quand je remontai chez moi, l’enfant fit un bond en me voyant rentrer avec une poupée et un ménage que j’étalai devant ses yeux ravis : c’était plus qu’elle eût jamais osé désirer. — Ah ! mon Dieu ! ce fut encore le cri qui sortit le premier de sa bouche.