Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/497

Cette page a été validée par deux contributeurs.
491
LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

ce berceau avec votre amie, n’est-ce pas ? Ne dites pas non. Ces lieux ont l’air de vous connaître, de même qu’ils vous paraissent familiers. À cette branche, où vous avez en arrivant suspendu mon châle, vous avez ce jour-là suspendu le châle de votre maîtresse. Elle est venue ici, ne dites pas non. Tout à l’heure, en buvant, vos lèvres paraissaient chercher sur les bords du verre la place où elle avait mis les siennes. Parlez, Olivier, chaque parole que vous ne dites pas retombe en larmes sur votre cœur. Ô mon ami, parlez sans crainte de me blesser, sans offenser votre amour, sans cruauté pour vous-même ou pour celle qui fut votre amie. Vous l’aimiez cette femme, et non pas seulement par habitude ou par désir, comme vous voulez inutilement vous le persuader, non pas seulement à telle heure ou à telle autre, mais à toute heure et toujours, tant que vous l’avez connue. Pour mille choses que j’ignore, mais que je devine, pour le son de sa voix, pour la couleur de ses cheveux, pour la vivacité ou la douceur de son regard, pour certains mots qu’elle savait dire comme d’autres femmes ne vous les auraient pas dits, elle vous fut chère, et bien chère. Ô mon ami, ne dites pas non, car vous l’avez aimée. Votre amertume est pleine de tendresse, et son nom, quand il y vient, vous laisse encore un miel sur les lèvres. Elle aussi vous aima, croyez-le-bien, qu’elle s’en défende ou qu’elle l’avoue. Son cœur n’était point muet, comme vous le disiez ; mais c’est peut-être vous qui ne l’écoutiez pas lorsqu’il vous parlait. Elle vous a aimé, soyez-en sûr, moins que vous, cela se peut, ou autrement ; elle vous a aimé, et peut-être même à cause du mal qu’elle vous faisait.

— Eh bien ! soit, répondit Olivier, je l’ai aimée ; mais ce ne fut pas de cet amour sain et salutaire qui fait le cœur content et l’esprit heureux, qui rend bons ceux qui sont mauvais et meilleurs ceux qui sont bons. Ce fut un de ces amours mal venus, qui devait mal finir ; commencé de sang-froid, au hasard, par coquetterie d’un côté, par désœuvrement de l’autre ; continué dans une lutte perpétuelle entre le mensonge et le soupçon ; dix fois rompu par fatigue, dix fois renoué pour échapper à la solitude : passion triste, misérable et inutile, qui use le cœur, qui le vide, qui le sèche, qui gâte le passé, qui corrompt l’avenir ; amour funeste, qui ne laisse que des débris, et parmi lesquels plus tard on rechercherait vainement un de ces doux souvenirs qui sont comme les fleurs des ruines…

Bien que cette femme, reprit Olivier, ait été la dernière avec laquelle je fusse venu dans ce pays, ce n’était point à elle que je songeais en traversant le parc de Saint-Cloud. Depuis l’instant où votre nom avait été prononcé dans le dîner, toutes mes pensées étaient frappées à votre effigie, et, comme en moi-même, autour de moi tout me parlait de vous. Mes amis marchaient devant, chantant en chœur une vieille ronde,