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cher un sauve qui peut à ceux qui restaient, et quand notre douleur en deuil pouvait répéter comme les trappistes « Frères, il faut mourir, » notre résignation active se remettait à la vie en répétant au contraire : « Frères, il faut espérer. »

— Cependant, continua le jeune homme en reprenant son récit, le triste hommage que nous venions de rendre à ceux qui n’étaient plus ne fut, pour ainsi dire, qu’une courte parenthèse, que l’on se hâta de fermer. Les fantômes fraternels évoqués un moment par nos souvenirs disparurent comme des ombres légères, et passant d’un extrême à l’autre, après avoir parlé des morts, on se mit à parler de l’amour. On se rappela les robes blanches et les robes roses, les cheveux noirs et les cheveux blonds : chacun prit plaisir à faire revivre dans sa pensée les figures tour à tour folâtres ou tendres des favorites fidèles ou des volages qui jadis avaient peuplé le harem de sa jeunesse. — Ah ! ma petite chambre, d’où je voyais les moulins de Montmartre et les yeux d’Eugénie, disait l’un ; vous souvenez-vous d’Eugénie ? — Et Pauline ? et Clara ? — Étions-nous fous ! étaient-elles folles ! Parmi tous ces noms de femmes, qui dans un temps éloigné avaient appris et peut-être désappris l’amour à la plupart d’entre nous, un des convives mêla tout à coup votre nom. — Et toi, Olivier, me demanda-t-il, as-tu revu Marie ? — À cette question tous les regards se tournèrent alternativement vers moi et vers l’un de nos compagnons dont l’attitude embarrassée dénotait assez l’impression vive et pénible qui venait de s’éveiller en lui.

Je vous ai dit que tous mes anciens camarades se trouvaient réunis à ce dîner, reprit après un court silence le jeune homme qui portait le nom d’Olivier ; je n’ai pas besoin de vous dire comment s’appelait celui qui avait pâli, en même temps que moi, en entendant parler de celle que l’on nommait Marie.

— Oh ! mon ami, interrompit la jeune femme en baissant les yeux, était-il bien utile de ne pas oublier ce détail ? et pourquoi jeter dans notre entrevue fugitive un souvenir qui me force à baisser les yeux devant vous et à retirer ma main de la vôtre, où elle était si bien ? ajouta Marie en essayant faiblement de dégager sa main de celle d’Olivier.

— Pardonnez-moi, reprit vivement celui-ci, et ne voyez pas une indélicatesse dans une chose que je ne pouvais passer sous silence pour arriver à ce qui me reste à vous apprendre. Comme je vous le disais donc, notre groupe, jusqu’alors si joyeux, devint embarrassé, silencieux ; une même inquiétude se lisait sur tous les visages ; on sentait de part et d’autre qu’un anneau venait de se briser dans la chaîne ressoudée de notre amitié renaissante, car votre nom, tombé au milieu de notre causerie jusque-là si expansive et si cordiale, rappelait