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le premier des secours temporaires aux parens trop pauvres pour nourrir leurs enfans. Nerva érigea cet usage en institution, et voulut que dans toute l’Italie on nourrît dans des dépôts publics les orphelins des deux sexes. Trajan fit ajouter aux tables frumentaires de Rome le nom de tous les enfans appartenant aux familles indigentes, et dans les provinces le trésor des municipes dut pourvoir aux mêmes dépenses.

Ce n’étaient pas cependant les enfans pauvres qui mettaient en danger la société romaine : ceux dont il fallait calmer les plaintes et apaiser la faim, c’étaient ces membres nombreux des tribus urbaines qui n’avaient ni un sillon à cultiver, ni une industrie à exercer, et que la constitution de l’état vouait forcément à l’oisiveté et aux factions. Pour apaiser les trop justes plaintes de ces masses qui cimentaient de leur sang l’édifice de quelques fortunes colossales, plusieurs tentatives avaient été faites, parfois par le sénat, le plus souvent par les tribuns du peuple. On sait que le partage du domaine public et la révision des mesures en vertu desquelles il avait été aliéné furent, pendant plus d’un demi-siècle, l’occasion de querelles sanglantes. Les lois agraires avaient rencontré, au sein de l’aristocratie devenue propriétaire, une résistance opiniâtre, motivée par ses intérêts, et n’avaient jamais été défendues par le peuple qu’avec une certaine mollesse. C’est qu’un système d’allégement de la détresse publique par une vaste colonisation agricole, une tentative qui aurait eu pour effet de transporter aux extrémités de l’Italie, en les transformant en laboureurs, des hommes accoutumés à la vie indolente des cliens et aux agitations soldées du Forum, n’avaient rien qui tentât beaucoup ces masses perverties par des institutions qui flétrissaient le travail de la terre. Les prolétaires attachaient bien plus de prix aux distributions en nature qu’aux distributions de terres arables ; les unes les faisaient vivre sans travailler, les autres devaient les faire travailler pour vivre. Tel fut le secret de l’abandon dans lequel ils laissèrent presque toujours leurs tribuns lors des débats relatifs aux lois agraires.

Profitant habilement de sa popularité et de son immense puissance militaire, César seul parvint à réaliser, sur une assez grande échelle, ce partage des terres conquises, qui était beaucoup moins l’expression d’un vœu populaire qu’une occasion de soulever les passions et de verser le sang patricien. Il fut résolu que pour relever l’agriculture, repeupler les solitudes de l’Italie et arracher à la mendicité la plus grande partie de la population romaine, les terres du domaine seraient distribuées aux pauvres ; les meilleures de toutes, celles de la Campanie, ne devaient être données qu’à ceux qui auraient au moins trois enfans. Il fut de plus stipulé que, si les terres disponibles ne suffisaient pas, il serait acheté pour le même usage, aux frais de l’état, des propriétés particulières aux prix marqués sur les registres du cens.