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ses tortures. Dans les sociétés antiques, la grande majorité des êtres vivans était comme retranchée de la condition humaine. Étrangère à tous les rites de la religion, à tous les droits de la cité, de la propriété et de la famille, chargée du double poids de tous les travaux et de tous les opprobres, ne pouvant d’ordinaire s’élever jusqu’à la liberté qu’au prix des services les plus infâmes, cette masse d’hommes sans Dieu, sans ame et sans patrie, avait ouvert au sein de la société romaine un gouffre de corruption, de dépopulation et de misère dans lequel celle-ci ne pouvait manquer de s’engloutir. Le désespoir des esclaves avait multiplié les complots et les révoltes dans l’état, les assassinats et les empoisonnemens dans la famille. Des bandes de fugitifs peuplaient les forêts de l’Italie et interceptaient toutes les routes par lesquelles affluaient à Rome les richesses de l’univers dépouillé. La nation entière devait disparaître par l’effet de ce régime odieux. « On ne trouvait plus de Romains qu’à Rome, d’Italiens que dans les grandes villes, dit un historien économiste. Quelques esclaves gardaient encore quelques troupeaux dans les campagnes ; mais les fleuves avaient rompu leurs digues, les forêts s’étaient étendues dans les prairies, et les loups et les sangliers avaient repris possession de l’antique domaine de la civilisation[1]. »

Tel était l’état de Rome au moment où les successeurs de Néron prodiguaient pour la reconstruire le porphyre et le marbre, et lorsque le christianisme, bien loin d’exercer une influence quelconque sur la législation économique de l’empire, n’était encore connu que par les martyrs qu’il envoyait mourir sous la dent des lions pour les plaisirs de ce peuple de mendians sans entrailles. Aux derniers temps de la république et sous les premiers empereurs, cette situation offrait de tels périls, qu’un vaste système avait été organisé tant pour amortir les souffrances de la plèbe par les terribles émotions du cirque que pour alléger sa misère au moyen d’une intervention de l’état s’exerçant sur une échelle gigantesque.

Le sang du Calvaire devait seul consacrer aux yeux de l’homme la vie de son semblable. Avant le christianisme, le droit naturel de tuer le vaincu avait engendré l’esclavage, comme le droit universellement admis de disposer de l’être auquel on avait communiqué la vie avait fondé dans les lois et dans les mœurs la tyrannie domestique. L’enfant gisant aux pieds du père de famille ne recevait le droit de vivre qu’au moment où celui-ci avait consenti à le relever, tollere. Tous les témoignages historiques attestent d’ailleurs que, dans les sociétés païennes, l’infanticide ne fut pas seulement un droit, mais qu’il fut un fait normal, considéré comme régulier et souvent pratiqué pour obvier aux maux de la misère et aux sollicitudes de l’avenir. Auguste accorda

  1. De Sismondi, Nouveaux principes d’Education politique, t. I, p. 113.