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quand on l’aborde, se mettre à étudier les moyens les plus courts et les plus féconds d’y parvenir ; il ne faut pas l’aborder, ou il faut avoir déjà une connaissance profonde de ces moyens et une résolution inflexible d’en faire usage. Il faut enfin quelque chose de plus et de non moins rare que tout le reste ; il faut définir résolûment les bornes de la réforme qu’on a entrepris d’exécuter, aller d’un trait jusqu’à ces bornes en écartant ou en brisant tous les obstacles, et une fois arrivé là, s’arrêter court pour faire face à l’instant même à quiconque voudrait pousser les choses au-delà, et des flancs de la réforme faire sortir une révolution. En un mot, quand on entreprend d’améliorer ou de charger les lois d’un pays, il faut le faire sans délai, sans désemparer, selon les termes fixes que l’on s’est proposés à soi-même, et le jour, l’heure, la minute d’après, il faut, sortant brusquement de cet état violent, se remettre, suivant l’esprit des nouvelles institutions que l’on a promulguées, au train de l’expédition quotidienne des affaires de la société. Autrement, et si l’on s’attarde, les esprits infailliblement s’exaltent ; les réformes, qui, réalisées sur-le-champ, eussent transporté les cœurs, ne les trouvent plus, arrivant trop tard, que froids et dédaigneux ; sous le prétexte du désir des améliorations, la fureur du changement s’empare des ames ; bientôt ce n’est plus un remaniement des institutions anciennes que le peuple demande, c’est leur bouleversement ; les gouvervans, dominés, entraînés par les gouvernés, cèdent de proche en proche à leurs caprices ; le pouvoir glisse des mains du prince dans celles du peuple, de celles du peuple dans celles des factions, de celles des factions dans celles de la multitude, et la réforme, faute de s’être opérée à temps, aboutit à une catastrophe et à l’anarchie. Telle était la grandeur et tel était le danger de la situation à Rome, lorsqu’en juillet 1846, Pie IX, au lendemain de la promulgation du décret d’amnistie, mit la main à la réforme que ses peuples attendaient de lui voir accomplir.

Il y avait alors à Rome un homme qui avait à un degré extraordinaire la conscience de cette situation, et qui, s’il eût eu la puissance d’exécuter les desseins qu’elle lui suggérait, l’eût peut-être sauvée ; cet homme était l’ambassadeur de France, l’illustre et depuis si malheureux M. Rossi. M. Rossi résidait à Rome depuis près de deux ans déjà. Ç’avait été d’abord une assez grande merveille de l’y revoir, et de l’y revoir ambassadeur de France. Trente ans auparavant, le gouvernement pontifical avait proscrit en lui un fonctionnaire rebelle, complice de la généreuse témérité de Murat. Adopté tour à tour par la Suisse et par la France, citoyen de Genève en 1819, sujet français en 1838, M. Rossi, de 1815 à 1845, avait mis les rares facultés de son esprit au service des intérêts de différens peuples, mais il n’avait jamais poursuivi qu’un seul but ; au travers de toutes les vicissitudes de sa vie, il était resté fidèle à la grande cause du siècle, à la cause de la