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le besoin était le principe de toutes les discordes, fournissait des armes à toutes les séditions et des votes achetés à toutes les candidatures. M. Moreau Christophe a tracé un tableau complet de la misère « qui rongeait cette société sans commerce et sans industrie, dont la guerre et le pillage étaient les seuls élémens de production, et dont les classes moyennes regardaient le travail comme une œuvre servile et l’oisiveté comme l’attribut du citoyen. »

À côté des patriciens qui faisaient les lois et fournissaient des pontifes à la religion, des pères conscrits au sénat, des chevaliers à l’ordre équestre, côte à côte avec ces races primitives auxquelles avait été commis le mystérieux dépôt des destinées de Rome, vivaient de nombreux citoyens qui ne participaient ni aux mêmes droits, ni aux mêmes rites, et auxquels leur qualité d’hommes libres ne donnait que le triste privilège d’aller mourir aux extrémités du monde pour une patrie où ils ne possédaient pas l’espace d’un tombeau. Les deux jugera de terre primitivement attribués à chaque membre de la cité quiritaire étaient allés se perdre et se confondre dans ces latifundia, fléaux de l’Italie, où quelques généraux gorgés de butin avaient élevé ces somptueuses villas qui couvraient des espaces immenses en les frappant d’une stérilité qui dure encore. Machine dressée pour la guerre et pour la conquête, Rome n’était pas plus impitoyable pour ses ennemis que pour ses propres enfans, dont elle épuisait le sang avec la fortune. Il fallait que le plébéien passât la plus grande partie de sa vie au loin et sous les armes, qu’il s’équipât et s’entretint à ses frais ; il fallait qu’au moment de quitter son petit champ pour marcher à la conquête des Gaules ou de l’Asie, il allât frapper à la porte du riche pour le lui hypothéquer, en empruntant de quoi faire vivre, durant sa longue absence, des enfans que son départ allait précipiter vers leur ruine, et que sa mort ferait bientôt orphelins. Minées par le service militaire, pressurées par l’usure, ne participant que dans une très faible mesure aux dépouilles qui faisaient la fortune des généraux, les tribus plébéiennes de Rome descendirent dans la misère bien au-dessous du niveau des esclaves, et les conquérans du monde, cliens affamés de quelques riches, n’eurent plus qu’une oisiveté tumultueuse et des votes stipendiés à leur offrir en échange d’un pain plus incertain que celui de la servitude. Il ne resta donc plus au peuple-roi qu’à tendre les mains aux distributeurs de l’annone, ou bien à cultiver, à titre de colons et concurremment avec les esclaves ruraux, l’antique domaine de ses pères ; heureux le pauvre plébéien lorsque les accidens de la guerre civile ne lui arrachaient pas cette dernière ressource, en donnant à de nouveaux colons militaires les sillons si long-temps arrosés de ses sueurs !

Au-dessous de la population libre écrasée par les contrats et les prêts usuraires, l’esclavage étendait la lèpre de ses vices et le spectacle de