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ont passé sur la terre. Vanité des efforts tentés pour supprimer la pauvreté, nécessité urgente de combattre l’indigence, lorsqu’elle passe à l’état chronique, sous peine de périr bientôt sous ses étreintes, — telle est la grande résultante de l’histoire des souffrances humaines.

Cette conclusion vient de se produire avec une remarquable netteté dans un ouvrage qui m’a paru digne d’un examen spécial : non que l’auteur s’attache à la formuler didactiquement, mais parce qu’elle ressort d’une manière invincible de la masse de documens réunis par une érudition patiente et sagace. M. Moreau Christophe est parvenu à faire une œuvre systématique sans en afficher la prétention, et c’est du milieu de faits accumulés sans parti pris que jaillissent des inductions toujours lumineuses, lors même qu’elles ne sont pas précisées. Il m’a semblé qu’il y aurait utilité à appeler en ce moment l’attention sur des questions que les menaces de l’avenir recommandent à tous les esprits sérieux, en résumant dans un cadre restreint les principaux résultats du travail de M. Moreau Christophe.

Rien de plus tristement monotone qu’une histoire de la misère. L’entreprendre, c’est se résigner à compter les larmes de l’enfance sans secours, de l’âge mûr sans travail, de la vieillesse sans asile, et ces douleurs-là se ressemblent dans tous les temps et dans tous les lieux. La faim dans ses tortures, la douleur physique dans ses angoisses n’ont qu’un même cri de détresse au sein des nations avancées comme chez les peuples enfans : ce cri retentit sous la tente des pasteurs, sur le fumier de Job, dans les ergastules de Rome aussi bien que dans nos hôpitaux, et de tels spectacles épuiseraient vite la curiosité et l’attention, si la variété qu’on cherche en vain dans la monographie de la misère ne se produisait au plus haut degré dans l’histoire des remèdes qui lui ont été opposés durant le cours des siècles. La nomenclature des mesures par lesquelles on s’est efforcé, soit de la prévenir, soit de la réprimer, est peut-être ce qui projette la plus saisissante clarté sur l’état moral et social des peuples.

Dans cette grave matière, deux principes sont constamment en présence : d’après l’un, la pauvreté ne serait qu’une imperfection sociale dont une plus habile organisation peut triompher ; d’après l’autre, c’est un mal nécessaire qu’il faut pieusement accepter, tout en le renfermant par la diffusion de l’esprit de charité dans les plus étroites limites possibles. Pour combattre la misère, l’un emprunte ses armes à l’ordre religieux, l’autre à l’ordre politique. Celui-ci s’adresse à l’état et à la force publique dont l’état dispose ; celui-là s’adresse à la conscience privée sous la menace de châtimens terribles. La lutte entre le principe de la bienfaisance légale et le principe de la charité religieuse forme la division naturelle des matières embrassées par M. Moreau Christophe. Cette lutte d’ailleurs, latente ou avouée, est aujourd’hui au fond de tous nos débats, de toutes nos théories et de toutes nos anxiétés.