Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ah ! tu le défends ! s’écria-t-il ; c’est juste, vous êtes de la même race ; ce qu’il a fait, tu l’approuves, et tu le ferais à l’occasion : sang de loup ne peut mentir !

— Ne dites pas cela, maître Méru ! interrompit doucement André ; vous savez bien que je ne puis maintenant vous répondre, vu que celui qui m’a donné la vie est là et que Dieu m’ordonne de lui garder respect.

— Et t’ordonnait-il aussi de me voler mon amitié ? reprit le patron ; pourquoi m’as-tu caché de qui tu étais fils ?

— Parce que je ne le savais pas moi-même. Méru fit un geste d’incrédulité.

— Sur mon salut éternel je ne le savais pas i reprit le jeune homme avec énergie ; celui que maître Soriel vient de reconnaître pourrait vous le dire.

— Oses-tu bien invoquer le témoignage du noyeur s’écria le marinier.

— On prend ses témoins où ils sont et sans pouvoir les choisir, maître Méru, dit André à demi-voix.

— Possible ! reprit le patron du Drapeau-Blanc ; mais l’oncle qui est chargé d’une nièce mineure choisit son mari, pas vrai ? Eh bien ! plutôt que de donner la mienne au fils d’un bourreau de Carrier, vois-tu, je la conduirais une meulière au cou sur le pont de Pirmil, au-dessus de la grande arche, et je la jetterais la tête en avant dans la Loire.

Entine poussa un léger cri, et André voulut répondre ; le patron ne lui en laissa pas le temps : il passa un bras autour de la taille de la jeune fille, et, sans plus attendre, l’entraîna vers l’auberge, où Soriel et François le suivirent.

Le jeune marinier étourdi s’assit au bord du bateau, la tête dans ses deux grains. Le passage du doute à la joie et de la joie au désespoir avait été si prompt, qu’il eut besoin de quelques instans pour se reconnaître. Cependant cette espèce de défaillance fut de courte durée ; il en sortit par un vaillant effort de volonté, et, se rappelant son père, il regarda autour de lui ; mais maître Jacques n’était déjà plus là. Aussitôt qu’il s’était trouvé seul, il avait remis silencieusement sa veste, était descendu à terre et avait pris à pied la route de liantes.

Après l’avoir vainement cherché dans les barges et sur la rive, André regagna la charreyonne, pour y attendre le lendemain. Les cruelles surprises qu’il venait de traverser le tinrent long-temps éveillé ; ce fut seulement vers la fin de la nuit que la fatigue l’emporta et qu’il s’endormit. Ses paupières se rouvrirent, frappées par les premières lueurs du jour qui perçaient les fentes de la cabane. Encore engourdi, il se