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dans le grand lit de la Loire, quand des cris d’appel partis du futreau leur firent retourner la tête.

Lorsque Méru avait vu l’étrange manœuvre de maître Jacques, qui abandonnait la voie tracée pour se jeter dans les plates eaux, il était monté sur son banc, et l’avait quelque temps suivi des yeux sans pouvoir comprendre. Les mariniers, appuyés sur leurs perches ferrées, se demandaient également dans quelle intention il allait ainsi au-devant du danger ; mais le plus étonné et le plus saisi de tous avait été François, qui crut sa ruse découverte. À part les peines sévères dont les règlemens de navigation la punissaient, il savait de quelle honte elle devait le couvrir aux yeux de toute la marine de Loire, et quelle serait particulièrement l’indignation de l’oncle Méru, s’il en était jamais instruit. Ces considérations, auxquelles il ne s’était point arrêté lait qu’il avait cru son secret assuré, l’assaillirent à la fois lorsqu’il eut peur d’être trahi. Pâle et tremblant, il laissa la barre à un des mariniers, et courut à l’avant du futreau pour mieux suivre l’audacieuse navigation de la charreyonne, ne sachant plus s’il devait souhaiter sa réussite ou sa perte. Pendant ce temps, le marinier qui était à la pale continuait à diriger le futreau dans le chenal dessiné par les fausse, balises. Tout à coup un choc souleva la proue ; on entendit le déchirement des cailloux qui froissaient la carène, et l’eau jaillit à l’intérieur entre les bordages forcés ; la barge était engravée.

Sans présenter de sérieux périls pour l’équipage, la situation était embarrassante. Le fleuve, plus resserré dans cet endroit, courait rapidement et portait toujours le futreau en avant sur les sables ; la barge commençait même à présenter le travers, et il était à craindre que, dans cet état, elle ne pût supporter long-temps la violence des eaux. Les premières tentatives des mariniers pour la dégager furent sans succès ; il fallut se décider à réclamer le secours d’André et de son équipage.

Au premier appel, le jeune patron comprit ce qui était arrivé et se hâta de rejoindre Méru dans son canot. On venait d’abattre la voile du futreau, qui, délivré de l’action du vent, s’était arrêté. Le jeune homme aida à boucher les voies d’eau, lia à des cordes les mâts, les planches, les avirons qu’il jeta dans le fleuve pour alléger la barge ; puis, poussant de fond avec ses gens, il réussit, après de longs efforts, à lui faire franchir la grève et à la replacer dans le chenal. Lui-même la pilota ensuite comme il l’avait vu faire à son père, et l’amena bord à bord de son bateau, où il rentra.

Méru, un peu humilié de l’aide qu’il avait dû accepter, le remercia brièvement et s’occupa de repêcher ses épares pour mettre à la voile, tandis que la charreyonne levait le grappin et continuait sa route.

La manière dont maître Jacques venait de faire ses preuves lui avait