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Masada, et que s’est-il passé en ce lieu sans pareil dans le monde entier ? C’est Josèphe encore qui va nous l’apprendre, et je lui emprunterai la relation presque entière de l’effroyable catastrophe dont Masada fut le théâtre.

Quelques mots avant d’en venir à ce récit. Masada veut dire forteresse ; c’est le mot hébreu ( ?) sans aucune altération. Jamais localité n’a mieux mérité ce nom, qui n’est plus aujourd’hui connu des Bédouins, et qui n’était peut-être qu’une appellation toute différente du nom réel de la localité elle-même. Ce qui me le ferait croire, c’est le sens même du mot Masada et l’existence du nom de Sebbeh, qui seul est resté parmi les Arabes, et qu’ils n’ont probablement pas inventé un beau matin. Après le sac de Masada, appeler encore la forteresse par excellence un lieu que la tactique romaine était parvenue à réduire, c’eût été une véritable dérision, et je m’explique ainsi la disparition du nom de Masada.

Pline parle de cette ville comme d’une forteresse située au sommet d’un rocher, et il la cite avec raison après Engaddi. Strabon l’appelle Moasada, et mentionne les pierres brûlées que l’on rencontre autour de ce lieu singulier. Voyons maintenant ce que nous apprend Josèphe : « Ce fut, dit-il, le pontife Jonathas qui le premier conçut l’idée de fortifier ce point réputé inexpugnable, et qui lui imposa le nom significatif de Masada. Plus tard, le roi Hérode donna à cette place forte une plus grande extension, et il y multiplia les moyens de défense[1]. » Dans un autre passage très curieux, Josèphe s’exprime ainsi : « Il y avait non loin de Jérusalem une citadelle extrêmement forte, construite par les anciens rois, pour y mettre leurs trésors et leurs personnes en sûreté en cas de guerre malheureuse. Les sicaires[2], s’étant emparés de Masada, faisaient de là des courses dans la contrée environnante, ne cherchant à s’emparer que de ce dont ils avaient absolument besoin pour vivre, parce que la crainte les empêchait de commettre leurs brigandages sur une plus grande échelle. Apprenant cependant que l’armée envahissante des Romains était en repos, et que les Juifs de Jérusalem étaient divisés par la sédition et par la plus inique tyrannie, ils en vinrent à commettre des crimes plus grands encore. Le jour même de la fête des Azymes, ils sortirent de Masada

  1. Bell. Jud., VII, 8, 3.
  2. Josèphe appelle ainsi les Juifs qui, ne voulant pas se soumettre à la domination étrangère, avaient juré de mourir jusqu’au dernier en faisant une guerre acharnée aux Romains. De nos jours, nous avons entendu maudire par des français les brigands de la Loire, qui méritaient tout aussi justement ce nom infâme que les derniers défenseurs de l’indépendance juive. Et c’est un Juif traître à sa patrie qui flétrit du nom de sicaires la poignée de héros qui s’était réfugiée à Masada : O passions humaines, vous ne cesserez jamais d’égarer la conscience des peuples !