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nos collaborateurs, M. Gabriel Ferry, est une des victimes. On a pu apprécier dans la Revue le talent pittoresque et coloré qu’avait montré M. Gabriel Ferry dans les Scènes de la Vie Mexicaine. Son caractère égalait son talent. Familier avec ces contrées, il venait d’être envoyé par le gouvernement français dans la Californie. Il se trouvait à bord de l’Amazane quand ce navire a pris feu, et il a péri. Nous ne saurions oublier, pour notre part, les qualités précieuses de M. Gabriel Ferry au moment où une aussi triste fin vient dénouer une vie qui pouvait compter encore plus d’une œuvre utile et sérieuse.

CH. DE MAZADE.


La Muse n’est point ingrate : si elle pardonne rarement à ceux qui la trahissent ou lui préfèrent de plus superbes idoles, elle sait aussi reconnaître, à travers le bruit et la mêlée, ceux qui lui restent fidèles. Parfois, aux époques les plus troublées, au moment où les esprits sont le plus violemment distraits par les spectacles extérieurs, on est tout étonné de voir naître auprès de soi une œuvre vraiment poétique, pareille à ces fleurs sauvages nées dans un creux de rocher, à quelques pas de la tourmente et des récifs. Que leur a-t-il fallu pour éclore et pour vivre ? A la fleur, un abri où elle pût attendre la goutte d’eau et le rayon de soleil ; au livre, une ame sincèrement éprise de poésie et d’art, fermée à tout ce qui passionne ou irrite, ouverte à tout ce qui féconde et vivifie.

Il y a vingt ans que M. Brizeux publia le poème de Marie. C’était, on s’en souvient, le temps des grandes conquêtes et surtout des grandes promesses chacun apportait ou son chef-d’œuvre ou son programme, et, quelles qu’aient été, plus tard, les déceptions et les défaillances, il faut bien convenir qu’il y eut là, pendant ces quatre ou cinq années fugitives, un épanouissement de vie et de jeunesse littéraire qui eut son prestige et son éclat. M. Brizeux arriva le dernier, le moins bruyant et le plus humble, dans le groupe glorieux. Cette simple histoire de Marie, s’exhalant comme le parfum matinal des landes et des bruyères bretonnes, ne pouvait avoir un retentissement bien sonore ni de bien ambitieuses destinées. Pourtant, dès les premiers momens, sa place fut marquée parmi ces pages d’élite qu’on a lues un jour avec charme, et que désormais l’on n’oublie pas. Depuis, M. Brizeux a agrandi sa manière. Dans les Ternaires, dans le poème des Bretons, il a fait vibrer d’une main plus vigoureuse des cordes plus âpres et plus viriles ; mais Marie est demeurée, pour lui, cette œuvre de prédilection et de point de départ à laquelle le poète aime à revenir de temps à autre, comme à ces sources vives dont rien ne remplace la transparence et la fraîcheur. Aujourd’hui, voici que M. Brizeux vient de donner un pendant à cette gracieuse Marie. Primel et Nola, ce petit poème que nos lecteurs connaissent, n’a rien à envier à ce que l’auteur a écrit de plus délicat et de plus charmant. Nola, la belle veuve de Corré, est bien la sœur de Marie. Elle en a la simplicité naïve, l’élégance naturelle et intime. Dans un temps où on a tellement abusé de la couleur locale et où l’art, sous ce vain prétexte, a si souvent oublié sa mission véritable, on doit savoir gré à M. Brizeux de nous montrer, dans un cadre choisi, ce que doit être cette couleur locale entre les mains d’un artiste sérieux. À coup sûr, il suffit de lire vingt vers de Primel et Nola pour se sentir transporté en pleine Bretagne.