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de reine ne devait pas se trouver dans la bouche des démocrates. Quelques-uns (et le nombre en est grand) craignent d’être dupes, et émettent des doutes sur la sublimité de la mission que Kossuth s’est donnée. Déjà il avait dû récriminer contre les insinuations du colonel Webb, rédacteur d’un journal de New-York, le Courrier and Inquirer, qui avait osé douter (crime impardonnable pour lequel il a été hué dans un des banquets de la presse) de la parfaite sincérité de Kossuth, et en avait pris texte pour accuser d’impiété les républicains de l’Europe. Le même lot de vociférations est échu en partage au juge Duer, qui, dans le banquet offert par le barreau, a osé, malgré les cris et les injures, dire nettement son opinion sur la déplorable politique d’intervention dans laquelle l’ex-dictateur cherche à entraîner les États-Unis. Kossuth voit bien que, s’il arrache aux masses ardentes leurs applaudissemens, il ne gagne guère dans l’opinion des gens réellement éclairés, et qu’il ne réussit qu’à échauffer des esprits qui ne demandent pas mieux que d’être amusés. À plusieurs reprises, il a laissé percer son mécontentement et son dépit. En répondant au clergé de Brooklyn, qui, fidèle à sa mission pacifique, se félicitait de voir la diplomatie succéder à la guerre : « Ne vous fiez pas à la diplomatie, a-t-il dit avec amertume, c’est elle qui a perdu la cause de la Hongrie. Ce n’est point la diplomatie qui doit régner aujourd’hui, et j’espère voir bientôt l’opinion publique prendre la place de la diplomatie. » En effet, Kossuth aurait plus de chances de succès, il faut en convenir, s’il lui suffisait en Amérique de l’adhésion des masses pour l’exécution de ses projets. Le jour même où il faisait cette réponse en remerciant la députation de New-York, il insinuait que c’était par sournoiserie diplomatique que le congrès avait déclaré que sa réception était une réception individuelle et non politique. Cette parole n’a pas été perdue ; dans la chambre des représentans, un membre, M. Hebard, s’est levé pour déclarer qu’il devait être bien entendu de tout le monde, de Kossuth lui-même, que cette réception n’aurait aucun caractère politique.

Qu’on ne s’étonne pas si nous insistons ainsi sur l’accueil fait par les Américains à M. Kossuth. Outre les détails de mœurs que nous fournit son voyage, il y a dans ces ovations peut-être le commencement d’une nouvelle politique américaine, et peut-être aussi le présage de graves événemens. Cependant des voix se sont élevées au sein des deux assemblées pour protester contre cette politique aveugle, qui peut ne pas entraîner plus loin qu’ils ne voudraient aller les ardens démocrates de l’Union, mais qui certainement peut leur coûter plus cher qu’ils ne voudraient. Dans le sénat, MM. Clemens et Douglas ont bien posé la question ; ils ont dénoncé cette tactique qui, sous prétexte de non-intervention et de neutralité, est une véritable intervention, et jette les États-Unis hors de leur politique traditionnelle. Dans la chambre des représentans, où l’on aurait dû s’attendre à plus de turbulence démocratique encore que dans le sénat, les discussions ont été plus calmes. Un certain M. Smith, pourtant démocrate de l’Alabama, a fait un discours plein d’humeur irrévérencieuse contre les honneurs qu’on rendait à Kossuth, « ce Pierre l’ermite de la révolution, ainsi qu’il l’a appelé, et auquel, a-t-il ajouté, je préfère de beaucoup nos Pierres les chasseurs des états de l’ouest. » Toutefois ces accens modérés se perdent dans le bruit des acclamations enthousiastes. Les Américains sont, à l’heure qu’il est, sous l’influence d’un désir violent, le désir de peser à leur