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aurait pu faire partie de l’Allemagne, tandis que l’autre fût restée en dehors de l’organisation fédérale. L’argument n’était pas sans force ; les grandes puissances n’en ignoraient point la valeur, tout en le repoussant au nom des traités de Vienne. La Russie notamment, qui d’abord s’était laissé persuader que cette pensée hardie d’incorporation de l’Autriche dans l’Allemagne, basée sur l’unité de l’empire, était favorable à la sécurité des petits états de la confédération, en vint elle-même à changer ouvertement d’avis. Un de ses sujets, économiste distingué, connu par un long séjour en Autriche et par des travaux estimés sur les finances autrichiennes, M. Tegoborski, fut autorisé à combattre à la fois la double ambition de centraliser l’Autriche et de la fondre dans l’Allemagne. Le publiciste russe s’en acquitta avec une verdeur d’expression qui ne laissa pas de provoquer quelques représailles dans la presse gouvernementale en Autriche. M. Tegoborski partait d’une idée originale et juste, à savoir que l’élément germanique, de tous ceux dont l’empire d’Autriche est formé, est peut-être le moins conservateur. N’est-ce pas en effet par l’Allemagne que la révolution s’est introduite à Vienne ? et n’est-ce pas dans les populations allemandes de Vienne que les agitations dont l’empire a été le théâtre ont trouvé leur principal appui ? « Pendant la dernière guerre de Hongrie, dit avec raison M. Tegoborski, beaucoup d’Allemands ont été plus Magyars que les Magyars eux-mêmes, et c’est un fait constaté et bien digne d’attention, que l’élément archi-démocratique et révolutionnaire a été chez eux beaucoup plus prononcé que chez les Hongrois… En général, l’insurrection hongroise était beaucoup plus nationale que révolutionnaire et démocratique, et ce n’est que vers la fin de la guerre que Kossuth lui a fait prendre ce dernier caractère, tandis que, dans les provinces allemandes, la révolution avait un caractère exclusivement démocratique. »

Suivant l’organe officieux du cabinet russe, le triomphe du germanisme en Autriche par la centralisation et par la fusion de cette puissance dans l’Allemagne eût donc présenté un danger immense : c’eût été d’assurer dans l’empire la prépondérance de l’élément révolutionnaire sur les élémens conservateurs qui s’étaient révélés, en 1848 et 1849, avec tant de spontanéité, parmi les populations slaves. Condamnée ainsi au dehors comme au dedans, la charte du 4 mars, qui d’ailleurs avait aux yeux du gouvernement autrichien lui-même le grave inconvénient d’être parlementaire, dut être sacrifiée. Bien que les principes organiques substitués par la patente du 31 décembre 1851 aux principes fondamentaux de la constitution du 4 mars 1849 en soient très différens, l’acte impérial qui les consacre n’a surpris ni ému personne en Autriche. Les préoccupations des peuples sont, dans ce pays moins qu’ailleurs, tournées vers les systèmes d’organisation politique. Les corvées et les prestations en nature restent supprimées, moyennant indemnité, ainsi qu’il a toujours été convenu. L’égalité devant la loi est respectée, sans toutefois porter préjudice à l’institution des majorats et des fidéi-commis. Ce sont les principes essentiels du droit civil ; ce gain demeure acquis. Quant aux droits politiques, ceux que les populations autrichiennes ont à cour concernent moins les individus que les races. Si, comme on doit l’espérer, l’égalité et l’indépendance administrative des provinces sont respectées, les Italiens, les Slaves, les Hongrois, prendront facilement leur parti de la perte de ces libertés constitutionnelles dont ils avaient