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mêlant, il y a eu des insinuations, des suppositions acerbes et insultantes. La colère des radicaux et celle des protestans s’est donné libre carrière à l’endroit de lord Granville, et ne s’est pas même arrêtée au seuil du cabinet diplomatique du ministre. On a rappelé que lord Granville, marié avec une Française catholique et lié avec tous les catholiques éminens de l’Angleterre et du continent, avait entretenu de tout temps de bons rapports avec des hommes que l’Angleterre devait considérer comme ses ennemis, avec le cardinal Acton, avec le comte de Castelcicala, l’ex-ambassadeur de Naples à Londres, celui à qui naguère encore lord Palmerston remettait cette note injurieuse pour son gouvernement, en même temps qu’il envoyait une copie de la brochure de M. Gladstone à tous les cabinets de l’Europe. Les hypothèses aidant, lord Granville, aux yeux de certains partis, n’était rien moins qu’une créature de l’Autriche et du saint-siège chargée de diriger les affaires de la Grande-Bretagne. Si lord Palmerston est tombé victime de négociations secrètes avec la cour de Vienne, qui peut empêcher, en effet, l’esprit de parti de voir dans lord Granville, catholique par ses alliances et ses amitiés, intelligence plus modérée et plus modeste que celle de lord Palmerston, caractère non encore éprouvé dans la vie publique, et dont l’Angleterre ne connaît ni les qualités ni les défauts ; qui peut empêcher l’esprit de parti de voir en lui un homme imposé par la cous de Rome et les états absolutistes, une créature de Pie IX et du prince de Metternich ? Voilà cependant les belles inventions et les dévergondages d’imagination auxquels on s’est livré en Angleterre à l’occasion du successeur de lord Palmerston. Il y a long-temps qu’on n’avait aussi bien déliré au-delà du détroit.

Les partis modérés, moins susceptibles à l’endroit des catholiques, sans attaquer aussi violemment le noble lord, ne se sont pas tenus pour beaucoup plus rassurés, et ils ont demandé au cabinet quelles alliances il comptait faire pour rappeler en lui la vie qui lui échappe. Lord Palmerston tombé, ont-ils dit, que reste-t-il à côté de lord John Russell ? Des hommes vieillis au service de l’Angleterre, comme le marquis de Landsdowne, à qui on a rappelé un peu brutalement que le ministère n’était pas un lieu de retraite ; comme sir Charles Wood, dont les budgets ont provoqué les railleries de l’Angleterre dans ces dernières années ; comme lord Grey, dont l’administration, surtout en ce qui regarde les colonies, est l’objet d’attaques incessantes. Le ministère allait-il enfin se transformer sérieusement ? D’abord lord John Russell a fait la sourde oreille, et il n’a été question que de remplacer lord Granville dans les fonctions qu’il venait de quitter. Il s’est adressé à M. Cardwell, un des anciens amis de sir Robert Peel, qui s’est montré disposé à accepter une fonction dans le cabinet, mais qui a imposé pour condition qu’il y entrerait avec un certain nombre de ses amis. Alors ont eu lieu tous les imbroglios ministériels et toutes les combinaisons, aussitôt abandonnées que conçues, de la semaine qui vient de s’écouler. Tour à tour il a été question de sir James Graham, de M. Cardwell, du duc de Newcastle, de lord Wodehouse, de M. Sidney Herbert. L’alliance entre les whigs et les peelites semblait accomplie, et les victimes de cette alliance étaient désignées : c’étaient lord Grey, sir George Grey, lord Broughton, naguère connu sous le nom de sir James Cam Hobhouse. Les conférences ont été laissées, puis reprises, puis abandonnées encore. Il ne reste de ces combinaisons que des déceptions et l’impossibilité bien constatée pour l’Angleterre de voir