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qui réponde en tous points aux sentimens et aux besoins du pays. La constitution nouvelle ne saurait tarder maintenant à être publiée ; les lois organiques qui la complètent suivront de près sans nul doute, et nous permettront d’envisager avec plus d’ensemble et de certitude notre situation intérieure. Jusque-là nous n’aurions à mentionner que des mesures partielles de divers genres, telles que la loi sur la garde nationale, qui confère au pouvoir exécutif le droit de nommer les officiers ; les instructions ministérielles, qui soumettent à une surveillance sévère et juste les cabarets et autres lieux de même espèce où va se pervertir le bon sens populaire ; la suppression sur les monumens publics de cette orgueilleuse et trois fois menteuse devise qui les décorait depuis février. La concession par adjudication du chemin de fer de Lyon, qui vient d’avoir lieu, termine une question long-temps débattue, on le sait. Elle marque une des voies où peut s’exercer le plus utilement aujourd’hui l’activité du pays : c’est la voie des intérêts positifs et pratiques, du travail matériel et productif. Ce ne sont point les élémens qui manquent à ce genre de travail, et la France, sous ce rapport, a encore à faire pour marcher sur les traces de pays tels que l’Angleterre ou les États-Unis.

En Angleterre, il y a long-temps que l’esprit public n’avait été aussi agité que durant la quinzaine qui vient de s’écouler ; tout récemment, un journal anglais, revenant sur l’exposition universelle de l’industrie, félicitait la Grande-Bretagne d’avoir donné au monde ce grand spectacle ; hélas ! qui sait si ce n’est point pour long-temps que ce temple de la paix aura été ouvert ? Quoi qu’il en soit, l’inquiétude règne dans tous les partis et dans toutes les classes de la société ; les protestans jettent les hauts cris, comme si la liberté de conscience allait être suspendue pour eux de même qu’elle fut jadis suspendue pour les catholiques ; les journaux dissertent longuement sur l’insuffisance des moyens de défense de la Grande-Bretagne. Ne croirait-on pas, à voir tant d’agitation, que l’Angleterre se sent menacée non-seulement dans ses intérêts, mais dans son principe ? Chaque jour, d’honorables gentlemen écrivent aux principaux organes de la presse des lettres enflammées et fanatiques en se déguisant modestement sous ces pseudonymes patriotiques : an Englishman, Anglicus, un Anglais, un Anglican. Que se passe-t-il donc et que veut dire tout ce mouvement ? Et les préoccupations nationales ne sont pas les seules : des dissensions intérieures viennent encore ajouter à l’anxiété publique, et au-dessus de cette société déjà attaquée, au-dessus de cette nation en proie à la crainte, flotte dans les régions du gouvernement un cabinet qui est et qui n’est pas, qui, condamné à vivre par l’impossibilité où sont tous les partis de prendre en main les affaires, est cependant condamné à mourir malgré ses bonnes intentions par l’impossibilité où il se trouve de s’assimiler les partis les plus rapprochés de lui et de se rallier les hommes qui lui ont toujours été le moins hostiles.

Lord Palmerston triomphe dans sa défaite ; sa chute paraît avoir blessé à mort le cabinet whig. Un tel personnage en tombant ne laisse pas seulement une place vide derrière lui ! sa retraite a créé une crise qui continue encore, et qui ne pouvait s’apaiser par l’entrée aux affaires de lord Granville. Lord Palmerston n’est pas un de ces hommes auxquels le public ne pense plus aussitôt qu’ils sont remplacés. Tout ce qu’il y a de fanatisme patriotique en Angleterre s’est senti atteint. Il n’y a pas eu seulement des colères ; le soupçon s’en