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des épisodes inattendus, interprété la traduction biblique d’une manière plus neuve ; personne, je crois, ne traiterait le sujet avec plus d’ampleur et de liberté. Le Déluge résume toutes les qualités et tous les défauts de M. Chenavard. L’auteur possède un si riche trésor de souvenirs, que l’invention n’est pour lui le plus souvent qu’un triage ingénieux : il ne connaît guère l’imprévu, sa mémoire lui interdit la témérité ; mais il apporte dans le triage tant de sagesse et de clairvoyance, il combine si habilement ce qu’il a vu avec ce qu’il a pensé, que la réflexion prend chez lui la forme de l’invention. Les plus hardis, les plus habiles, ayant à traiter le même sujet, seraient peut-être fort embarrassés d’imaginer quelque chose d’absolument nouveau ; M. Chenavard, qui ne prétend pas au mérite de l’imprévu, se contente, lorsqu’il s’agit de thèmes déjà maniés et remaniés par les esprits éminens, d’ajouter sa pensée personnelle aux pensées dont l’expression vit dans son souvenir. Il est permis sans doute de blâmer cette conduite, et pour ma part je ne l’accepte pas comme à l’abri de tout reproche. Toutefois je reconnais que M. Chenavard, en côtoyant tour à tour l’invention et la réflexion, en s’abstenant d’innover toutes les fois qu’il avait sous la main des précédens excellens, tout en restreignant la part de l’imagination, a cependant trouvé moyen de lutter avec les esprits les plus ingénieux et les plus féconds. Tous les pas qu’il fait sont tellement assurés, il associe sa fantaisie à la fantaisie des maîtres qui ont parcouru la même route avec tant de goût et de bon sens, que personne ne songe à le gourmander sur la fidélité de ses souvenirs. Il ne faudrait pas d’ailleurs attacher trop d’importance aux réserves que je viens de présenter. La mémoire, sans qui l’imagination ne serait pas, n’ôte rien à l’indépendance de la pensée. Il se souvient à propos, mais il n’obéit jamais servilement à ses souvenirs. Il compare, il juge, il choisit, et quand sa raison lui conseille de tenter une voie nouvelle, il ne recule pas devant les périls de sa tâche. La mémoire chez lui n’exclut pas l’invention, c’est une vérité facile à établir. Pour la démontrer, il nous suffira d’étudier quelques-uns de ses cartons.

Le Jugement des rois d’Égypte après leur mort et la Mort de Zoroastre se recommandent par une gravité digne du sujet. Toutes les parties de ces deux compositions sont reliées entre elles avec une rare habileté. Le regard embrasse facilement tous les détails de la scène que l’auteur a voulu représenter. M. Chenavard, avant de mettre la main à l’œuvre, a long-temps médité sur les difficultés de cette double tâche ; aussi ne faut-il pas s’étonner qu’il les ait résolues hardiment. La pensée, dans ces deux tableaux, s’explique avec une clarté qui ne laisse rien à désirer. Il y a dans le Jugement des rois d’Égypte une pompe et une austérité qui s’emparent de l’attention et frappent le spectateur d’un saint respect. L’esprit se trouve transporté comme par