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serait grand temps d’en finir avec ces niaiseries), je croirais plutôt que l’Angleterre a eu des amours platoniques trop innocens, je la soupçonnerais d’avoir en sa petite prétention libérale, comme la France se pique d’encourager l’art ; j’accuserais surtout la presse d’avoir été souvent tout-à-fait au-dessous de son rôle. En général, elle s’est montrée profondément ignorante de l’état des hommes et des choses sur le continent. À propos de l’Italie, de la France, de la Hongrie, elle s’est bornée à célébrer comme une chose excellente ce qui était excellent pour l’Angleterre. Elle avait ses principes. En conséquence, elle a conclu que toutes les institutions et tous les programmes politiques qui n’étaient pas suivant ses principes devaient être mauvais, — on appelle cela de la logique ; — en conséquence encore, elle a conclu qu’elle devait prendre parti pour tous ceux qui attaquaient ces programmes et ces principes. Étrange naïveté de croire ainsi que pour faire réussir une cause, il s’agit seulement de se ranger du côté de tous ceux qui combattent en son nom, quoi qu’ils soient, quoi qu’ils veuillent en réalité, quoi qu’il puisse sortir de leur succès. Le plus souvent c’est tout l’opposé, et la presse anglaise, en approuvant ceux qui prononçaient des mots chers à son oreille, pourrait bien avoir encouragé précisément les fanatismes et les instincts de violence qui empêchent ces mots de devenir des réalités. Mais n’est-ce pas, là du don quichotisme de ma part ? Pour que le progrès s’accomplisse, il faut des aspirations et des illusions qui poussent en avant, comme il faut des connaissances et des craintes qui retiennent, et il est vain d’espérer que les mêmes hommes puissent réunir et combiner dans les mêmes cerveaux ces deux élémens nécessaires. Notre monde ressemble aux tribunaux où la justice se rend au moyen de deux avocats qui mentent l’un et l’autre en ne présentant qu’un côté de la cause. Ce qui doit s’accomplir, le raisonnable, résulte du conflit de deux folies qui, toutes deux, poursuivent l’impossible. Heureux le pays où les plus fous sont des whigs au lieu d’être des radicaux ! L’Angleterre en est là, et c’est pour cela qu’elle a toutes ses libertés. Heureux aussi le pays où les imaginations n’ont pas d’écarts plus regrettables que certaines exaltations de Mme Browning, car ces exaltations elles-mêmes sont toniques, et elles dénotent tout ce qui constitue une robuste santé !

En résumé, mistress Browning me semble être un honneur pour son sexe et son pays. Sans doute ses vers sont de l’enthousiasme presque sans mélange. Elle n’est pas de ceux qui, à côté de l’entraînement, ont au même degré le sang-froid qui le modère. Quoique ses idées et ses sentimens soient bien des élémens organiques de son être, et non des impressions passagères, ils s’expriment souvent dans un état de surexcitation qui ne pourrait durer. Elle n’a pas enfin ces accens