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se trouve être une transition naturelle de lui à M. Taylor. Bien que d’une méditation on passe à un drame, on change à peine d’atmosphère.

Quant à l’auteur de Philippe d’Artevelde et d’Edwin-le-Bel, ce n’est pas la netteté qui manque à ses conceptions, et, sans avoir des qualités aussi purement poétiques que MM. Tennyson et Browning, il est certainement un poète sui generis. Plus intelligent qu’impressionnable, plus porté à induire qu’à généraliser, il a les facultés de l’historien avec le talent de dramatiser les conclusions dont l’historien composerait un récit. Comme il l’a dit lui-même, il aime « la passion dont les éclairs ne brillent que pour illuminer les profondeurs de la nature humaine. »

Dans sa Veuve vierge cependant, M. Taylor a entièrement délaissé le genre historique, et pour ainsi dire le drame. Les éclairs de la joie et de la douleur y sont plus lointains, et ils brillent pour éclairer, non plus les caractères d’une époque, mais une transformation morale. Silisco, marquis de Malespina, s’est épris d’une jeune fille déjà fiancée par la volonté de son père à un vieux comte. Avant de la rencontrer, il avait vécu au jour le jour, prodiguant sa jeunesse et sa fortune. À peine l’a-t-il rencontrée et aimée, qu’il se voit dépouillé de ses biens, accusé d’un meurtre et forcé de fuir loin de Rosalba, dont il apprend bientôt le mariage. Rosalba pourtant l’aimait, et, au milieu même de la fête nuptiale, elle laisse échapper le secret de son sacrifice. Le vieux comte, qui n’a jamais fait de mal à personne, en a l’esprit frappé. Dans sa bonté naïve, il attribue ce qui arrive à un vœu qu’il n’a pas racheté, et, tout brisé qu’il est, il veut partir pour la Terre-Sainte. C’est alors seulement que le but de la pièce commence à se dessiner. Ce que le poète a voulu développer, on peut l’entrevoir par le contenu d’un billet que Rosalba découvre dans un pavillon de l’ancien château de Malespina. Le billet était caché sous la main d’une statue représentant Silisco enfant, et il renferme ces vers :

« Ce n’est plus ici que doit être la trace de mes pas au lendemain de mon enfance. Ma jeunesse ira au loin à l’aventure, tentée d’abord et éprouvée par le plaisir ; puis viendra la passion qui, sur ses ailes, l’emportera où chante l’alouette. Après elle, la désolation et le repentir repousseront le voyageur cruellement dérouté. Où ira-t-il ensuite ? Une ame reconnaissante cherchera et trouvera un devoir de reconnaissance à accomplir. Quand une ardeur héroïque anime encore les veines appauvries d’un vieillard, ce serait une honte vraiment que les jeunes veines ne saignassent pas où saignent les siennes. »

En d’autres termes, Silisco s’est souvenu des paroles de Rosalba que les prodigues n’ont point l’ame généreuse. Au lieu de s’abandonner à l’espérance en apprenant le départ du vieillard, il a voulu le suivre sous un déguisement pour veiller sur lui, et c’est seulement