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le saint Siméon Stylite de M. Tennyson, les deux figures de l’enthousiaste et du fataliste ont de la portée. Que le poète ait eu besoin de l’aide des lakistes pour trouver sa nouvelle voie, cela est probable ; mais au moins sa nouvelle voie l’a mieux conduit en face de lui-même, et il y a fait des découvertes qui valaient la peine d’être racontées. L’histoire de l’enthousiaste, en deux mots, est celle de ces rêveurs qui vivent à la merci des choses et des longues traînées d’impressions et de réflexions qu’elles leur causent. Avec ces natures méditatives, on s’enfermait autrefois dans les cloîtres ; maintenant elles produisent des poètes, et quelquefois de grands poètes, quand elles se joignent à un esprit suffisamment capable de se retrouver. Wordsworth, dont je parlais, en fait foi : mais l’enthousiaste du poème est moins heureux. Il n’a jamais fini de flotter à la dérive. Dans sa jeunesse, il s’était abandonné aux émotions que lui causaient les montagnes, le ciel, la mer, et il avait voulu être poète. Plus tard, il s’aperçoit qu’il a divinisé des idoles inertes ; il sent que la poésie est dans l’homme, non dans les choses, ou du moins que l’ame humaine peut seule en donner la clé. Alors il veut se mêler au mouvement de la vie, mais en vain, et il revient dans la solitude pour s’y entretenir avec ses rêveries, qu’il n’a jamais pu conduire à une fin quelconque.

« Oh ! nombreux sont-ils les prêtres du temple de la nature, les hommes silencieux remplis par la pensée, qui passent à travers les chemins encombrés de la vie, emportant leur silencieuse gratitude au tombeau ! Tout ce qu’ils ont senti, debout sur la plage de la terre, les yeux tournés vers l’espace avec ses îles et ses vagues de nuages, ils ne l’ont pas dit ; ils ne disent pas ce qu’ils ont éprouvé, alors que l’encens azuré des soirées recueillies montait vers le ciel et pénétrait dans leur ame, alors que des brises descendaient sur eux comme le souffle de Dieu du sein du pur éther, sans tache comme leur reconnaissance. De la mer sortaient des voix distinctes pour leurs oreilles ; elles leur parlaient, et ils thésaurisaient leurs paroles. Les arbres et les fleurs avaient une langue silencieuse qui leur récitait la leçon quotidienne de leur vie. De pensées en pensées, à travers des voies impossibles à sonder, ils s’étaient élevés à lire dans les mystères étoilés du firmament leur propre immortalité ; puis ils ont passé, et ils n’ont pas dit leurs ravissemens, leurs amours pour les couleurs, les sons et les mouvemens dont les harmonies étaient entrelacées à la trame de leur être, dont ils s’étaient nourris dans toutes ces heures bénies où ils se confondaient avec la grande ame dilatée dans l’univers. »

Sans être trop perspicace, il est facile de deviner que le poète a songé à lui-même en écrivant ces vers, et en réalité il n’est pas sans analogie avec son enthousiaste. Voici maintenant le portrait du fataliste :

« Il se tourna vers nous comme un homme qui s’apprête à s’acquitter d’une obligation à laquelle il voudrait hier se soustraire, si son respect pour lui-même ne l’en empêchait ; mais ses traits étaient comme un tableau où parlait