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pas faire la statistique de tous les établissemens de bienfaisance ou d’instruction qui abondent dans la colonie, mais je dirai que la ville du Cap, avec sa population de vingt et un mille habitans, possède 5 sociétés littéraires, qui ont pour but de répandre l’instruction, et dont une seule dépense pour cet objet plus de 100,000 francs par an ; 3 sociétés de bienfaisance, exclusivement composées de femmes ; 9 sociétés diverses de bienfaisance ; 10 loges de francs-maçons, qui sont encore d’autres sociétés de bienfaisance ; une société d’agriculture, qui a rendu de très grands services à la colonie ; une société médicale, une société pour la protection des jeunes émigrans, une société pour l’exploration de l’Afrique, 11 sociétés religieuses, dont une, la Wesleyenne, compte 35 stations, dont une autre, la London Missionnary society, en a 33, dont une troisième, celle des catholiques français, en a 7, etc. J’ajouterai que, sur 2,069 électeurs municipaux, on compte 1,239 blancs et 830 hommes de couleur, fils d’affranchis ou même affranchis de 1833, qui exercent sérieusement leurs droits et sont sincèrement conviés à le faire par leurs concitoyens d’origine européenne. Pourrions-nous citer en France beaucoup de villes qui, proportionnellement à leur population et aux ressources du milieu qui les entoure, possèdent de pareilles richesses intellectuelles et morales ? Je crois facilement que pour un Parisien du boulevard de Gand le monde du Cap doit être un monde ennuyeux ; j’ignore ce que nous réserve le hasard impénétrable des destinées qui approchent, mais ce que je sais, c’est que si jamais je devais être enlevé du sol de la patrie, ce serait au milieu de ce monde sévère, mais libre, que je voudrais être jeté certain que je serais de trouver d’honorables compensations aux misères de l’exil parmi ces hommes respectables et bons, fils des proscrits de 1685, qui en 1844 m’appelaient encore leur compatriote.

Voilà ce que l’étude impartiale des faits et l’inspiration locale m’ont appris et suggéré. C’est fort différent, je l’avoue, de ce que je pensais moi-même retirer de mon passage au Cap le jour où j’y débarquai. J’arrivais avec le contingent ordinaire de connaissances superficielles et de préjugés que les Européens apportent naturellement toujours avec eux en arrivant du vieux monde. La situation maritime et militaire du pays admirablement placé entre deux océans, l’étrangeté de cette nature aride, mais vigoureuse et forte, qui ne produit rien que d’excellent, la merveilleuse salubrité du climat, l’inconcevable splendeur de ces nuits étoilées qui avaient retenu sir John Herschell captif sous le charme pendant plus de trois années, voilà ce qui allait, je le supposais du moins, attirer mon attention. J’avais bien entendu parlez des discordes intestines qui agitaient le pays, mais je croyais qu’on pouvait les juger par le mot célèbre de Charles III d’Espagne : « Mes sujets sont comme les enfans, ils crient quand je les nettoie, » et j’imaginais