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à ses généreux projets de suppression de la traite des noirs et d’abolition de l’esclavage ; les disciples de Wesley devenaient, par le nombre et par l’activité de leurs prédications, une fraction importante du monde protestant. L’Angleterre, dans l’originalité de son travail intérieur, transformait en agitation morale et religieuse les germes de fermentation répandus dans le monde par la révolution française. Le gouvernement britannique, par haine de la France catholique et par crainte de l’Irlande papiste, relevait peu à peu les dissenters des incapacités prononcées contre eux par la suprématie de l’église anglicane, et les sectes de toutes les dénominations, appelées à une vie nouvelle et désireuses de faire leurs preuves par l’évangélisation des païens, se répandaient sur le monde à la suite des armées anglaises, comme il arriva au Cap, ou allaient même tenter la fortune dans des pays restés libres jusque-là du joug des Européens, comme on le vit à Taïti, aux îles des Amis et ailleurs.

Les sentimens, les doctrines et les actes de ces religionnaires devaient en faire les adversaires naturels de la population coloniale du Cap, et pendant long-temps les chefs d’une opposition redoutable aux gouverneurs, malgré le soin que prit souvent l’autorité métropolitaine de se faire représenter par des officiers connus pour l’austérité de leurs sentimens religieux. À l’intérieur de la colonie, les missionnaires prêchaient l’abolition de l’esclavage, ce qui les rendait naturellement très suspects aux habitans ; dans les établissemens qu’ils avaient fondés en dehors, mais dans le voisinage de la frontière, ils devenaient par la force des choses les protecteurs et les avocats des noirs, toujours prêts à pallier leurs torts, à contester ou même à nier absolument les rapines commises aux dépens des Boers, à exagérer la rigueur des représailles que les colons étaient habitués, par des traditions plus que séculaires, à exercer contre les maraudeurs. Il en naquit une haine réciproque d’une violence extrême. L’histoire contemporaine et le spectacle de l’Europe actuelle nous montrent une foule d’exemples des exagérations et des folies auxquelles s’emporte l’esprit de parti, même sur un grand théâtre, où l’imagination populaire est sans cesse distraite par la prodigieuse variété des épisodes et des événemens : je laisse à penser ce qu’il advint dans ces solitudes perdues au bout du monde, où la passion des hommes privée de tout aliment pouvait s’entêter à loisir dans l’ardeur du fanatisme religieux et dans l’opiniâtreté naturelle au caractère hollandais. Ceux-là seuls peuvent s’en faire une idée qui ont étudié les discordes intestines et si souvent ridicules qui travaillent nos petites villes. Dans cette lutte ardente, les Boers devinrent aux yeux des missionnaires des gens stupides et cruels, des exterminateurs qui ne trouvaient de plaisir au monde que dans l’effusion du sang noir, tandis qu’aux yeux des Boers les missionnaires étaient des