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grimpé comme un singe sur un troisième cheval, n’a le plus souvent qu’un mouchoir autour de la tête pour tout vêtement. Ce serviteur porte en marche le long roer[1] de son baos (maître), et le lui présente lorsque celui-ci veut abattre à d’immenses portées une antilope ou un Cafre. Habitués dès l’enfance au maniement des armes, les Boers sont d’excellens tireurs, et, s’ils savaient jouer du sabre, ils seraient les plus formidables ennemis que l’on pût rencontrer. »

Telle était en réalité la simple, mais satisfaisante organisation du gouvernement hollandais. Je sais qu’il ne faut pas accorder une foi trop entière aux églogues et aux idylles que Le Vaillant nous a laissées sur le cap de Bonne-Espérance ; mais j’en appelle aux témoignages des voyageurs qui ont visité le pays pendant le dernier siècle, j’en appelle aux récits des marins de cette époque qui, jetés par la tempête sur ces côtes dangereuses et recueillis par l’hospitalité des habitans, ont vécu au milieu d’eux, et je demande si cette population n’était pas alors heureuse, et dans la pleine jouissance des biens que les premiers colons étaient venus chercher sur ces plages lointaines : le calme et la sérénité d’une vie patriarcale, la liberté des sentimens religieux[2] et l’oubli du vieux monde.

Elle ne l’avait que trop complètement oublié, elle ne l’ignorait que trop, ce vieux monde de l’Europe, lorsque, par suite des hasards de la guerre, la capitulation du 10 janvier 1806 fit passer le cap de Bonne-Espérance sous la domination anglaise. Ce n’étaient pas seulement des vaincus humiliés sous le poids d’une défaite passagère, c’étaient des gens désarmés que cette capitulation jetait en proie à une société que la pratique du régime représentatif avait admirablement façonnée à la tactique des partis, qu’un long usage de là liberté, tempérée et vivifiée par la sérieuse responsabilité des individus, avait habituée à ne considérer comme respectables, on pourrait dire comme doués d’une

  1. Roer, fusil : il en est de presque aussi grands que nos fusils de rempart et du calibre de six à la livre.
  2. La loi hollandaise autorisait au Cap le libre exercice de toutes les religions. Elle ne faisait qu’une seule exception contre la religion catholique ; les origines de la colonie ne justifient pas, mais elles expliquent cette dérogation au principe de la liberté. Je ne saurais affirmer que le gouvernement anglais ait légalement relevé les catholiques des incapacités civiles, politiques et religieuses qui pesaient sur eux, mais de fait ces incapacités sont maintenant abrogées, et nul ne pourrait songer, à moins d’être frappé de démence, à les remettre en vigueur. Le Cap est aujourd’hui le siège d’un évêché, et la plus belle église de la ville est sans contredit la cathédrale catholique. Cette cathédrale, qui n’était pas encore achevée lors de mon passage au cap de Bonne-Espérance, mais qui doit l’être aujourd’hui, a été élevée avec le produit de souscriptions volontaires dont les trois quarts ont été fournis par la population protestante. Des missionnaires catholiques français résident sur divers points de la colonie, ou exercent leur apostolat au milieu de ses dépendances, et ils jouissent d’autant de liberté, ils obtiennent de la part du gouvernement autant de faveur et de protection que les missionnaires d’aucune autre confession.