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I

Lorsque la compagnie des Indes hollandaises décida, vers le milieu du XVIIe siècle, la création d’un établissement au cap de Bonne-Espérance, elle ne songeait nullement à y fonder une colonie, surtout dans le sens qu’on attachait alors à ce mot. On ne considérait encore comme dignes d’être occupés à ce titre que les pays qui produisaient l’or, l’argent, les pierres précieuses, les denrées tropicales, les épices, que la Hollande trouvait ailleurs, et qu’elle ne pouvait pas demander au climat du Cap. En cédant aux suggestions d’un chirurgien employé à bord de ses navires, elle ne se proposait pas d’autre but que de ménager à ses flottes un lieu de ravitaillement à l’extrémité de l’Afrique, que de leur préparer, pour la guerre comme pour la tempête, la ressource et l’appui d’un autre Gibraltar, la clé de la mer des Indes. Elle ne demandait pas autre chose à son nouvel établissement, et ce fut seulement avec trois navires, portant à peine deux cent cinquante hommes, que l’auteur du projet, Van Riebeck, vint mouiller, le 6 avril 1652, dans les eaux de Table-Bay et prendre possession du rivage au nom de la compagnie. Cette petite troupe devait suffire à l’entreprise, car il ne paraît pas que pendant le siècle et demi où le cap de Bonne-Espérance resta dans les mains de la Hollande, la colonie ait jamais été obligée de faire appel à la métropole pour lui demander des secours importans en hommes, en armes ou en argent. D’un côté, elle ne devait être attaquée pour la première fois par une puissance européenne qu’en 1795 (après cent quarante-trois ans d’existence) ; de l’autre, elle allait rencontrer tout d’abord dans les circonstances locales des conditions d’établissement merveilleusement faciles.

Si peu que nous connaissions encore l’Afrique, les courageuses tentatives d’exploration qui ont été faites depuis plus de soixante ans nous en ont cependant appris assez pour que nous sachions que dans son relief général et d’ensemble ce vaste continent présente la forme d’une pyramide irrégulière, disposée en gradins ou terrasses plus abruptes, plus escarpées qu’en aucune autre partie du monde, et couronnée à son sommet par un vaste plateau que les cartes françaises qualifient ordinairement de désert ou plus justement de pays inconnus, mais qui renferme, tout semble aujourd’hui le prouver, d’innombrables populations noires. Nous ne saurons jamais, sans doute, l’histoire de ces races ignorées ; mais ce qui est certain, c’est que, depuis deux siècles environ, un mouvement extraordinaire s’est emparé d’elles, et qu’elles se sont mises à essaimer dans toutes les directions, se chassant les unes les autres vers les extrémités du continent et ne s’arrêtant dans leurs migrations que là où la terre leur manquait, là où des déserts incultes