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c’est une race active, infatigable, entreprenante ; comme soldats, ce sont des fantômes qui s’évanouissent à la vue des habits rouges. Un officier qui a fait contre eux les campagnes de 1834-35, et qui en a écrit l’histoire, le capitaine Alexander, porte à quarante-quatre hommes, femmes et enfans, soldats ou colons, le nombre total des victimes qui périrent dans cette guerre du côté des Anglais. Voici en revanche comment il estime les pertes subies par la colonie : 456 maisons brûlées, 111,930 têtes de bétail et 5,715 chevaux enlevés, sans compter les chèvres et les moutons. Ce sont certainement là de redoutables maraudeurs, mais quelle différence entre ces pillards et la belliqueuse population qui nous a livré les deux grandes batailles de Staoueli et d’Isly, qui a enlevé au prix de plusieurs centaines de cadavres le marabout si héroïquement défendu de Sidi-Brahim, et qui a soutenu les deux sièges de Constantine !

Dans les deux pays, la grande difficulté, et qui ne sera pas encore de si tôt résolue, c’est de faire vivre ensemble et en paix la civilisation de l’Europe et le fanatisme exclusif du musulman, ou la sauvagerie du Cafre. Au Cap, cette difficulté s’est compliquée pour l’administration anglaise de démêlés avec la population d’origine européenne qui habite la colonie ; mais ces démêlés mêmes n’ont pas eu d’autre cause que les tentatives de l’autorité supérieure pour régler les rapports de la population coloniale avec la race africaine. C’est une très dramatique histoire et faite pour fournir le thème d’intarissables récriminations à ceux qui poursuivent encore de leurs haines surannées la perfide Albion, ou qui s’évertuent à se créer un fanatisme de fantaisie contre l’hérésie protestante. Je m’étonne que les uns ou les autres aient négligé jusqu’ici cette mine si féconde, et je m’empresse de la signaler à leur zèle. Quant à ceux qui voient dans le spectacle des choses humaines la matière d’études plus intelligentes et plus philosophiques, je crois pouvoir aussi leur recommander l’histoire de la colonie du Cap sous l’administration anglaise comme un sujet des plus riches à explorer. On a rarement vu, peut-être même n’a-t-on jamais vu sur la terre un exemple aussi frappant du peu que vaut la sagesse des hommes et des tristes résultats que peuvent produire les plus nobles passions de notre cœur. L’observation impartiale montrera, en effet, que les plus grandes difficultés qui ont travaillé cette colonie, encore si agitée aujourd’hui, ont eu surtout pour origine les bonnes qualités et le mérite des parties qui ont joué un rôle dans son histoire. C’est une justice que nous rendrons sans peine à l’Angleterre, lors même qu’elle continuerait à être pour nous aussi injuste qu’elle l’est encore à l’endroit de l’Algérie.