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Rosalie ne cessa de répéter vingt fois par jour ce refrain cruel : — Voilà, seigneur Giuseppe, ce que c’est que de battre les filles. On a bientôt levé la main ; on s’en repent tout le reste de sa vie.


V

Après la fatale scène du coup de bâton, la discorde souffla son venin dans les cœurs de tous les amans désappointés. Gaëtano et Giulio, qui s’étaient si bien entendus pour faire le mal, devinrent ennemis mortels pour mieux prouver la sincérité de leurs regrets. Don Vincenzo, peu satisfait d’avoir découvert tant de rivaux aussi favorisés que lui, se serait refroidi pour le mariage, si la retraite de Pepina n’eût fortement ranimé ses désirs, car l’esprit humain est mal fait et s’acharne de préférence à la poursuite des biens qui semblent le fuir. Dominique, plus calme en apparence, mais plus jaloux cent fois que les autres, aurait volontiers poignardé toute la compagnie afin d’écarter la concurrence, et il accorda une double part de sa haine à don Vincenzo, qui joignait à sa qualité de rival celle de Napolitain. Au lieu de dissimuler sa rancune, le vainqueur des thons conçut la fatale pensée d’intimider l’ennemi. Lorsqu’il le rencontrait dans la rue, il lui lançait des regards de bête fauve, et il réussit à lui inspirer une peur de tous les diables, mais dont l’effet tourna autrement qu’il ne l’avait imaginé. Don Vincenzo n’eut qu’un mot à dire pour éveiller la sollicitude de la police. On alla aux informations, et l’on sut que Dominique avait exprimé devant témoins le plaisir qu’il éprouverait à planter un harpon dans le corps de son rival. Ce renseignement parut suffisant pour motiver un emprisonnement par mesure de prudence. Dominique, arrêté par quatre gendarmes, fut conduit à la Prison Vieille et jeté dans un cachot.

Par un préjugé populaire qui date du temps de la domination espagnole, les bonacchini, persuadés qu’ils n’ont point de justice à espérer des magistrats de Palerme, ont institué parmi eux une espèce de tribunal arbitral qui juge leurs différends. On plaide sa cause soi-même, et, n’ayant point d’avocats pour embrouiller les affaires, ni de frais à payer, les parties trouvent du moins, à défaut du code et de la science, l’économie de temps et d’argent. Quant aux arrêts, ils sont dictés par ce bon sens naïf dont l’illustre Sancho Pança donna des preuves si remarquables dans son gouvernement de Barataria. Il n’y eut jamais de justice si expéditive et si peu coûteuse, et comme les plaideurs ont toute confiance dans l’impartialité des juges, il est, rare qu’on appelle de ces arbitrages aux tribunaux réguliers. Si les bonacchini se bornaient à juger leurs différends en matière civile ou leurs