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inspiré la confiance d’Ulysse en la vertu de Pénélope, si le ciel n’eût pas mis dans son cœur le poison de la jalousie. Au retour du môle, don Giuseppe et sa compagnie rencontrèrent leur nouvel ami le Napolitain. Le seigneur Vincenzo avait une place dans les bureaux de l’intendance, avec des appointemens de 300 ducats, c’est-à-dire plus de 1,200 francs, ce qui en faisait un personnage considérable sous le double rapport de l’aisance et de l’autorité. Il était arrivé à Palerme depuis peu et ne connaissait pas encore tous les monumens et objets d’art dont cette ville est richement dotée. Pour lui être agréable, le bonnetier lui proposa de visiter l’intérieur de quelques églises. Don Vincenzo ne parut point émerveillé des peintures qu’on lui montra. Le maître-autel de l’oratoire du Rosaire, peint par Van-Dyck, n’eut pas l’honneur de lui plaire. Il trouva que cela manquait de lumière. Les bénitiers et les chaires de Gaggini, sculpteur éminemment sicilien et plein d’imagination, n’obtinrent de ce grand connaisseur que des grimaces dédaigneuses. La Descente de Croix de Jules Romain, de l’église de Santa-Zita, fut moins sévèrement critiquée à cause du nom de l’auteur ; mais don Vincenzo ne s’y arrêta qu’un moment. En revanche, il découvrit dans une chapelle une petite madone faussement attribuée à Solimène, et dont les tons crus révélaient à l’œil le moins exercé une copie sans valeur, et il demeura en extase devant ce tableau, en répétant : — Quel beau bleu i quel rouge éclatant ! quelle variété de couleurs ! — La véritable raison de cet enthousiasme, c’est que Solimène était de Naples ; mais don Giuseppe, dame Rosalie et les deux jeunes filles, qui n’en savaient rien, conçurent une haute idée de la science et du goût d’un homme si difficile, et qui avait su trouver sans hésiter la seule toile devant laquelle on pût s’extasier de la varietà dei colori.

Chemin faisant, don Vincenzo adressait des complimens aux trois dames, et particulièrement à Pepina. Malgré son savoir en matière de beaux-arts, il eut peu de succès, à cause de son accent et de son tour d’esprit napolitains. Les deux amies riaient sous cape des frais inutiles de leur adorateur. Cependant on rencontra plusieurs jours de suite don Vincenzo à la promenade, et comme il prenait gaiement, par galanterie, des sarcasmes qu’il n’eût point endurés de personnes indifférentes, cette petite guerre engendra l’intimité. Les jeunes filles de tous les pays sont volontiers moqueuses. Pepina, qui avait le cœur bon, se repentait souvent d’avoir été trop loin, et don Vincenzo tirait avantage de la cruauté des attaques pour solliciter des réparations. . Par sa patience, il donna une heureuse opinion de son caractère, et quand les conversations furent sérieuses, il déploya des ressources d’esprit et de mémoire que ses rivaux ne possédaient point, car don Vincenzo avait voyagé à quinze lieues autour de Naples, dans plusieurs directions. Il