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imiter la grimace d’un homme qui mord dans un fruit, ce qui passe dans une partie de l’Italie pour une proposition amoureuse du genre le plus brutal. Le visage de Dominique, au contraire, exprimait l’admiration, le respect et l’envie de rendre quelque service à une si belle signorina. Sans comprendre le geste du Napolitain, Pepina sentit que ce devait être une insolence. Quant à Dominique, elle ne prit pas garde à lui et le laissa dans sa contemplation. Les tarentelles s’étaient bien animées pendant ce temps-là. Six couples de danseurs se démenaient comme des possédés. Les castagnettes ronflaient, et les violons précipitaient la mesure. Faustina sautait comme une nymphe, en arrondissant ses beaux bras, la tête penchée en arrière et le visage épanoui. Don Vincenzo voulut danser aussi ; mais on l’avait reconnu à son accent pour un Napolitain, et, quand il s’avançait dans le cercle, les jeunes filles se dérobaient malignement pour se tourner vers quelque autre danseur. Dominique lui-même fut choisi de préférence et répondit à tant d’honneur en bondissant à quatre pieds du sol. La tarentelle finie, toute la bande essoufflée se mit à table pêle-mêle sous une tonnelle. Pour réparer les petits affronts que don Vincenzo avait supportés de bonne grace, on lui donna une place ; tout en se moquant de lui, les jeunes filles l’agacèrent et les hommes s’amusèrent de ses familiarités, si bien qu’il se glissa dans la compagnie pour le reste de la soirée. Dominique se tenait debout et guettait l’occasion d’offrir une assiette à Pepina. On le fit asseoir à table et on lui servit une copieuse portion de macaroni, dont il eut bientôt vu la fin. On but au dessert du calabrese et de la moscatelle que don Giuseppe voulut payer, et le bonnetier, frappant sur son gros ventre, répéta plusieurs fois : — Par Bacchus voilà une belle soirée, une brillante tablée ; il n’y manque rien : des fleurs, des fraises, du bon vin, de jolis visages, de la musique et de l’esprit.

— Et des cavaliers accomplis, dit la dame Rosalie.

— Des seigneurs généreux et pas fiers, ajouta Dominique.

— C’est vrai, mon garçon, reprit don Giuseppe ; mais si tu es honoré de notre compagnie, tu as fait honneur au festin en mangeant bien. Sous la bonacca, on trouve un robuste estomac.

La bonacca est une veste ronde en velours vert que portent les gens du peuple et les pêcheurs de thons, gens énergiques et turbulens qui habitent un faubourg de Palerme appelé le Borgo. C’est du nom de leur habit qu’on a formé leur sobriquet de bonacchini. Après le dîner, don Giuseppe dit à sa fille en lui montrant le cavalier aux façons distinguées : — Ce gentil seigneur est le fils d’un marchand de vins de Marsalla qui possède une belle fortune. Il m’a fait mille amitiés durant le repas, et assurément, jeune, bien élevé, riche comme il l’est, il ne s’ennuierait pas à causer avec un père, si ce n’était pour avoir accès