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l’après-dîner à la promenade, et le dimanche à la messe, le plus souvent accompagnée d’une jeune fille approchant du même âge qu’elle, et suivie du père, escortant une grosse voisine retirée du commerce et qui avait vendu des poissons secs. Don Giuseppe, veuf depuis longtemps, rendait à dame Rosalie, sa voisine, les soins empressés d’un cavalier servant. La fille de la marchande de poissons, sans être aussi belle que Pepina, ne manquait pas de ce qui plaît aux hommes. Ses yeux étaient pleins de phosphore, et sa grande bouche, ornée de dents magnifiques, souriait à tous venins. Une envie de plaire, qu’elle ne pouvait dissimuler, perçait dans ses airs de tête, sa démarche, ses gestes et son parler caressant ; aussi disait-on qu’elle chasserait de race, sa mère avant été galante. Pepina, qui était pourtant la plus jeune, donnait à sa compagne Faustina l’exemple d’une tenue modeste, et la rappelait souvent à l’ordre par des signes ou des mots à voix basse.

Faustina ne tirait pas grand fruit de l’exemple et des avis de ce Mentor de quinze ans. La nature, plus forte qu’elle, la menait comme un cheval emporté. Les deux jeunes filles, coiffées seulement de leurs beaux cheveux, relevaient sur leur tête leur châle de mousseline de laine, quand elles passaient au soleil, et le rabaissaient sur leurs épaules en rentrant à l’ombre, selon l’usage du pays. Dans cet exercice fréquent et familier aux femmes de Palerme, Faustina mettait une mobilité où se trahissait l’envie d’attirer les regards. Tantôt elle s’encapuchonnait jusqu’aux yeux en riant, tantôt elle ne voilait qu’un côté du visage, en lançant des œillades, ou bien elle faisait une visière de son éventail, en se cachant aux uns pour être mieux vue des autres ; mais si quelque jeune, cavalier s’approchait, la vigilante Pepina repoussait l’ennemi par un regard sévère. Ces escarmouches se passaient à, l’avant-garde, sans que don Giuseppe et dame Rosalie en eussent connaissance, tant ils avaient de bagatelles à se dire.

Pendant ces promenades au bord de la mer, dans un site enchanteur, au milieu de la belle compagnie, des équipages, des fleurs et des concerts en plein air, Pepina étudiait avec curiosité les petits manèges des femmes et des jeunes gens ; elle n’avait pas grand’peine à deviner les secrets de la comédie dans ce monde bienveillant où l’on se cache peu et où la chronique fait plus de bruit d’une liaison rompue que d’une intrigue nouvelle. Le spectacle de cette ivresse générale produisait sur les deux jeunes filles des effets diamétralement opposés. Faustina ne demandait qu’à suivre le torrent, et Pepina, voulant se garder de la contagion, conçut le projet de se singulariser par sa sagesse. L’occasion ne tarda pas à se présenter de faire connaître la fierté de ses sentimens. Les quatre ou cinq jeunes gens dont se composait la cour des deux amies comprirent, après un certain nombre de rebuffades,