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et des yeux dont on n’essuie pas le feu impunément. Leur physionomie offre un mélange bizarre d’intelligence et de naïveté, de passion et de coquetterie, d’orgueil et de douceur ; mais la sensualité domine par-dessus tout le reste. Elles ont bonne envie d’être fidèles, et le plus grand obstacle que rencontre l’amour qui les recherche, c’est un autre amour ; mais, si la tentation et l’herbe tendre s’en mêlent, un faux pas est bientôt fait, et conduit à un autre. On ne voudrait pas être ingrate pour un ancien ami, ni injuste pour un nouveau. On se résigne donc à diviser son cœur en deux ou plusieurs parts. La vie se complique bientôt à en perdre la tête. Avec cela, les hommes sont extrêmes en toutes choses : les uns, avides de plaisir, égoïstes et sans scrupules ; les autres, d’une jalousie intraitable, soupçonneux et féroces. Ce que nous appelons en France querelle ou dépit amoureux devient ici une scène de tragédie qui peut finir mal.

Il y a pourtant des Palermitaines qui gouvernent leurs amours avec art et méthode, et qui apprivoisent les jaloux comme le célèbre Martin ses tigres et ses lions. C’est de Palerme que partit jadis l’immortelle Thaïs, qui s’en alla faire la conquête d’Alexandre-le-Grand, et voulut avoir le spectacle de l’incendie de Persépolis : celle-là était une maîtresse femme. Vous savez avec quelle vivacité on se divertit à Naples les jours de fêtes populaires. On y met plus de passion encore à Palerme. La fête de sainte Rosalie, patronne de la ville, dure trois jours, et les cérémonies, les processions, les danses, les plaisirs de toutes sortes excitent dans la population un véritable délire. On vient de fort loin pour voir ce spectacle curieux. Tous les villages des environs ont aussi leurs fêtes patronales, et les habitans de la ville ne manquent pas de s’y rendre. Dans l’automne, il n’y a presque pas de jour sans quelque réjouissance publique, et ce sont autant d’occasions où les jeunes gens ne perdent pas leur temps. Quand on y va seul, on en revient deux, et si quelqu’un reproche à une jeune fille un gros péché, les bonnes gens disent pour l’excuser : « Que voulez-vous ? C’était à la fête de tel village, après une douzaine de tarentelles ; la pauvrette avait la tête à l’envers. » A quoi répond quelque philosophe indulgent « C’est juste. Une fille n’est pas de bronze. »

Parmi les belles personnes qu’on rencontre à chaque pas dans les rues de Palerme, il y en avait une, l’an passé, d’une beauté incomparable, un véritable modèle d’Hébé. Depuis lors, elle est devenue une Vénus. Quand je l’ai connue, son esprit et son cœur sommeillaient encore dans la simplicité de l’enfance. Jamais je ne vis rien de si intéressant que cette fleur précoce. Elle était fille d’un bonnetier de la rue Macqueda, qu’on appelait don Giuseppe, et qui possédait une maisonnette avec jardin près de la porte Carini. C’était là que demeurait Pepina. Elle venait rarement à la boutique de son père. On la voyait