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du pays, qu’apparemment vous ne connaissez pas. Apprenez qu’après la mort de Masaniello, l’armée de don Juan d’Autriche s’empara de la ville par cet aqueduc, et c’est ainsi que Naples est retombé sous la domination de l’Espagne.

— Doucement, répondis-je ; ne vous emportez pas. Le vieux quartier qui reçoit l’eau de Carmignano est fort éloigné de la ville neuve, et ne contient pas plus de fontaines que les autres. Il n’y a pas un seul ruisseau d’eau vive sur vos dalles brûlantes, où l’on voit remuer la vermine. Quant au fait historique que vous citez, il ne faut pas l’embellir. Lorsque vous dites que l’armée espagnole s’empara de la ville, on pourrait croire que ce fut à la suite d’un combat. Or, la vérité est que les lazzaroni eux-mêmes introduisirent les troupes de don Juan dans la place, non-seulement par le conduit dont vous parlez, mais encore par la porte d’Albe, qu’ils étaient chargés de défendre. Voilà, seigneur Vincenzo, comment votre indépendance vous fut ravie.

Un Sicilien d’une figure énergique et belle écoutait notre conversation, nonchalamment appuyé sur la margelle de la fontaine. Cet homme avait un dos et des jambes à soutenir le monde, comme Atlas. Il était en manches de chemise et portait sa veste de velours vert pliée sur l’épaule gauche, comme un mantelet espagnol, avec la grace d’un grand seigneur. Il m’encourageait par des regards à la dérobée, et semblait craindre de voir l’avantage rester à mon contradicteur. L’allusion au fait d’armes peu glorieux des lazzaroni lui fit un sensible plaisir.

— C’est toi, Domenico ! lui dit le Napolitain ; viens-tu ici pour me narguer ? Va-t’en au Borgo avec tes pareils.

Le Sicilien, comme s’il n’eût pas entendu, tira paisiblement de sa poche une pipe en jonc qu’il bourra de tabac.

— Manant ! grossier personnage ! reprit don Vincenzo, je te défends de fumer sur cette place.

— Et où diable voulez-vous qu’il fume, dis-je, si ce n’est sur une place publique ? Laissez ce garçon tranquille, et ne soyez pas si dur au pauvre monde. Donne-moi du feu, Domenico ; je te tiendrai compagnie en fumant une cigarette.

Pour la servir, et de tout mon cœur ! répondit le Sicilien en battant son briquet.

— Éloigne-toi, brigand ! reprit don Vincenzo, ou je te casse ma canne sur la tête.

Le Sicilien ne daigna pas même lever les yeux.

— Modérez-vous, repris-je ; et toi, Domenico, tu ferais sagement de t’en aller. Le seigneur Vincenzo paraît fort en colère contre toi.

— Il ne me frappera point, excellence, dit Domenico. Un coup de canne sur la tête et tout ce qui s’ensuit, c’est un événement grave. Je