Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la corvette approchait de la pointe Dilly et où nous nous préparions à tenter le passage du canal sans essayer de doubler dans le nord l’écueil des Pratas, un clipper anglais, vaincu dans la lutte qu’il avait engagée contre la mousson, descendait la côte vent arrière pour aller réparer ses avaries à Manille. Ce navire mutilé passa près de nous, ses voiles en lambeaux, ses sabords défoncés, son gréement tout blanchi par les embruns de la mer. Parti de Singapore le 16 octobre, depuis quarante-cinq jours il bataillait contre la tempête. Nous fûmes plus heureux que lui : le 8 décembre, nous reconnaissions le rocher de Pedra-Branca, placé comme une sentinelle avancée à quelques lieues du continent chinois. Dès le soir même, la corvette franchissait le canal des Lemas. Assaillie sous l’île de Lantao par de soudaines rafales, elle put continuer sa route sous ses huniers déployés jusqu’au haut des mâts, et atteindre la rade de Macao sans avoir cédé un pouce de toile à la brise. À dater de ce jour, nous sûmes ce que cet excellent navire pouvait faire : jamais bâtiment de guerre n’avait été plus propre à la navigation difficile des mers de Chine. Nous vîmes donc sans crainte s’ouvrir pour nous, avec l’année 1849, une nouvelle croisière qui promettait cependant d’être plus périlleuse et plus pénible que la campagne des Lou-tchou et des îles Mariannes.

Le ministre de France à Canton, M. Forth-Rouen, avait reçu l’ordre de visiter les ports du nord de la Chine, où l’apparition de M. de Lagrené, en 1845, avait eu de si heureux effets. Nous nous mîmes à la disposition de M. Forth-Rouen pour le conduire à Shang-haï, à Ning-po, à Chou-san, à Amoy, dans tous les ports ouverts au commerce européen et accessibles au tirant d’eau de la Bayonnaise. La mousson de nord-est était alors dans toute sa force. Avant la guerre de 1840, on n’eût point songé à remonter vers le nord dans de pareilles circonstances ; mais les clippers avaient ouvert la voie de ces traversées à contre-mousson ; les navires de guerre anglais avaient suivi les clippers, et la Bayonnaise n’eût point eu d’excuse pour demeurer en arrière. Ce fut dans cette campagne que nous pûmes apprécier les importans travaux des capitaines Belcher, Kellett et Collinson sur les côtes de Chine. C’est grace à ces travaux et en nous aidant aussi de nos observations personnelles que nous avons pu joindre à ce récit la carte qui reproduit avec une si remarquable précision les mille détours de ces côtes sinueuses, théâtre de tant de naufrages. Nous louvoyâmes pendant quelques jours près de terre. Les vents y étaient moins forts, la mer moins grosse que dans le canal. Constamment entourés d’innombrables flottilles de bateaux chinois, entrant dans toutes les baies, guidés pendant la nuit par la sonde plus encore que par la vue de la côte, nous atteignînmes sans beaucoup de peine la pointe Breaker. Ce fut alors que nous pûmes traverser le canal de Formose, et venir atterrir sur l’île