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approcha enfin son oreille de la bouche du Choui-kouan. Voici la réponse qu’il sembla recueillir et qu’il se chargea de nous transmettre « Ce qui s’était passé n’était qu’un malentendu, un funeste malentendu, le fait de gens grossiers, trop infimes pour qu’on s’occupât de leurs personnes ou de leurs actes. Le roi et le premier ministre, le souri-kouan, en avaient eu le cœur navré ; mais ils espéraient que le grand empire voudrait bien considérer la misère et l’impuissance du vil royaume, avoir pitié des petits et abaisser jusqu’à eux sa miséricorde. »

Ces excuses pouvaient à la rigueur être accueillies comme une satisfaction suffisante ; elles ne nous permettaient point de nous asseoir à la table du Choui-kouan et d’accepter le banquet qu’il voulait nous offrir pour consacrer l’oubli du passé en scellant notre réconciliation. Rien ne nous retenait plus dans les îles Lou-tchou : nous quittâmes donc le Choui-kouan. Pressés d’échapper au regard triste et résigné du pauvre mandarin, nous activâmes le déménagement du père Leturdu et le priâmes de hâter son départ. Vers cinq heures du soir, nous avions rallié la corvette ; en moins d’un quart d’heure, l’ancre était haute et les voiles déployées. Des bateaux chargés de bœufs nous avaient suivis. Nous les renvoyâmes fièrement ; mais, en dépit de ses protestations, nous obligeâmes d’abord le mandarin qui commandait cette flottille à recevoir 27 piastres espagnoles pour prix des provisions qui, dès le matin, avaient été apportées à bord de la Bayonnaise. Cette somme s’élevait à quatre fois la valeur des vivres qu’on nous avait fournis, valeur estimée par le père Leturdu d’après le taux courant des marchés de Choui et de Nafa.

La brise de nord-est qui s’était élevée pendant que nous visitions la capitale des Lou-tchou avait rapidement fraîchi. La corvette, qu’emportait sa large voilure, en ce moment gonflée comme l’outre d’Éole, eut bientôt laissé derrière elle la dernière pointe de la grande Oukinia. Peu à peu les sommets de l’île s’abaissèrent ; une forme vague, indécise, occupa quelque temps encore l’horizon, mais ces contours brumeux ne tardèrent point eux-mêmes à s’effacer, et les îles Lou tchou disparurent pour toujours à nos regards.

Cette journée passée sur le territoire oukinien fut peut-être l’épisode le plus intéressant de notre campagne. La charmante description du capitaine Basil Hall, qui, sur le brick la Lyra, avait accompagné, en 1816, la frégate l’Alceste et l’ambassadeur lord Amherst dans le golfe de Pe-king, la relation des naufragés de l’Indian-Oak, sauvés et recueillis par les habitans de Nafa, nous avaient inspiré depuis long-temps le désir de connaître ce peuple pacifique, dont les voyageurs vantaient à l’envi les mœurs hospitalières et les habitudes patriarcales. C’était un des débris de l’âge d’or, une épave de la vie primitive qui semblait avoir surnagé au milieu de notre siècle de fer. L’empereur,