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de nous conduire au tombeau de M. Adnet. Au milieu d’un bosquet de pins et de lauriers repose le pauvre ouvrier apostolique. Les Oukiniens ont permis que la croix s’élevât sur sa tombe. À côté de lui se trouve inhumé le second chirurgien de la corvette la Victorieuse, qui mourut en 1846 sur la rade de Nafa-kiang. Je ne saurais dire avec quelle émotion nous contemplâmes ces deux sépultures que ne visiteront jamais les parens, les amis de ces deux jeunes gens dont la destinée fut de terminer leur vie à cinq mille lieues de la France. Ces deux tombes sont semblables à celles des Oukiniens. Ce ne sont pas, comme les tombeaux chinois, des tertres gazonnés affectant la forme d’un fer à cheval ; ce sont des parallélépipèdes en maçonnerie, légèrement inclinés pour faciliter l’écoulement des eaux.. Après cette triste visite, nous entrâmes dans le couvent de bonzes qui avait été assigné pour logement à nos missionnaires. Ce couvent se composait d’un simple corps de logis comprenant deux chambres et une cuisine ; mais il est impossible d’imaginer rien de plus frais et de plus gracieux que ces étroites cellules dans lesquelles d’épaisses nattes en paille de riz, aussi moelleuses sous les pieds qu’un tapis de Turquie, tenaient lieu de parquet et de lit de repos. Le père Leturdu avait donné tous ses soins à l’arrangement de son presbytère. Nous fûmes charmés du bon goût qui en avait groupé les rares ornemens. Nous admirâmes l’exquise propreté qui l’embellissait, luxe aimable de l’homme simple qu’on voudrait retrouver dans tout ce qui entoure les représentans de la Divinité sur la terre, délicate recherche qui s’alliait si bien avec les pensées pures, avec la calme existence qu’avaient abritées pendant plus de deux ans ces modestes lambris.

Nous pressions cependant le père Leturdu de s’occuper de ses préparatifs de départ, et nous ne voulûmes point sortir de la bonzerie, qu’il ne les eût terminés. Il était près de neuf heures, quand nous nous acheminâmes vers la ville de Choui. Les habitans de Toumaï s’étaient rangés sur notre passage, afin de jouir d’un spectacle encore nouveau pour eux. Accroupis sur des nattes, ils nous suivaient de leurs grands yeux avec une curiosité respectueusement craintive. Il y avait là des vieillards, des enfans, des hommes de tous les âges ; mais on ne voyait aucune femme. Les nobles (samouraïs) se distinguaient à l’aiguille d’argent qui traversait leurs cheveux des plébéiens (hiacouchos), qui ne portent qu’une aiguille de cuivre. En contournant le bord de la mer, tout ombragé de beaux arbres, nous nous trouvâmes bientôt sur la grande route de Choui. Nous n’avions point encore rencontré, depuis que nous avions quitté la France, de chemin d’un aspect aussi imposant. Sur les points où cette large avenue cesse d’être pavée de grandes dalles volcaniques, le sol battu et macadamisé n’en présente pas une surface moins ferme. Il n’existe rien en Chine, le pays des petits sentiers, qui