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des paroles de l’Évangile. Les deux communions rivales avaient le même intérêt à défendre certains privilèges octroyés à nos missionnaires sur les sollicitations réitérées de M. l’amiral Cécille. De toutes les franchises dont se composait cette charte, respectée à contre-cœur par les mandarins d’Oukinia, la plus précieuse était sans contredit la faculté de circuler librement dans l’île ; car, ce droit abandonné, il fallait renoncer en même temps à tout espoir de prosélytisme. Plus d’une tentative hostile avait menacé un privilège tellement contraire aux lois du pays, qu’avant de l’accorder aux demandes de l’amiral, le premier ministre de Choui, Chang-ting-tchou, avait osé, à diverses reprises, « fatiguer les oreilles de son excellence et implorer avec larmes sa miséricorde. » Pendant dix-huit mois, la ligue européenne avait néanmoins triomphé ; mais, à mesure que s’affaiblissait chez les mandarins le souvenir de la visite des bâtimens français, ils se montraient plus ardens à reconquérir le terrain qu’ils avaient cédé. Sur ces entrefaites, un malheur public affligea l’empire oukinien. Le roi, depuis long-temps malade, auquel le docteur Bettelheim, un peu médecin de son état, avait inutilement fait offrir ses services, mourut vers la fin de l’année 1847, et légua par sa mort le trône à un enfant. Ce fut un grand deuil pour les habitans des îles Lou-tchou. De Choui à Nafa, on ne parut plus occupé que des obsèques du souverain défunt. Le jour fixé pour les funérailles, le 17 octobre 1847, le docteur Bettelheim et nos missionnaires voulurent, comme de coutume, se rendre à la ville de Choui ; mais, arrivés au pied de la colline sur laquelle cette ville est bâtie, ils trouvèrent des gens armés de bambous qui leur barrèrent le passage et voulurent les obliger à rebrousser chemin. Ils insistèrent, on les repoussa ; ils réclamèrent avec plus d’énergie, on les maltraita. Les mandarins, qui attendaient à quelque distance l’issue d’une lutte à laquelle ils eussent craint de s’exposer, accoururent alors. Ils virent nos missionnaires renversés à terre, frappés de coups de bambou, saisis par les cheveux et traînés sur le pavé. Ils les jugèrent assez punis, arrêtèrent le bras des gardes prêt à redoubler, protégèrent le docteur Bettelheim qu’on poursuivait, et demandèrent humblement pardon aux hommes qu’ils venaient de faire ainsi maltraiter. C’était peu de chose pour des missionnaires que de pardonner et d’oublier ces sévices ; mais il y avait dans l’énergie dont avaient fait preuve en cette occasion les autorités d’Oukinia un symptôme si évident de l’influence japonaise, que MM. Adnet et Leturdu sentirent le découragement pénétrer jusqu’au fond de leur cœur. Ils ne doutèrent point que le délégué du prince de Satsuma, ce mystérieux proconsul qui résidait, disait-on, à Nafa, dont on ne leur avait jamais parlé qu’avec un sentiment de terreur et qu’ils avaient en vain cherché à entrevoir, ne dût assister aux obsèques du roi et n’eût exigé qu’on leur interdît de paraître à cette cérémonie.