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de l’enfance, avait déjà connu les joies et les souffrances de la maternité. Sa physionomie fatiguée, ses appas flétris disaient assez combien sont fugitives la grace et la beauté quand un soin délicat ne s’occupe pas de réparer sans cesse les ravages des années et les outrages du temps.

Les émigrés de Saypan appartenaient à ce groupe des îles Carolines dont les habitans, long-temps avant la conquête espagnole, avaient appris le chemin de l’île de Guam, et dont on voit encore chaque année les rouges pirogues à l’immense balancier apporter dans le port de Merizo ou déployer sur la plage d’Agagna leurs cargaisons de coquilles et de nacre. Ce groupe d’îles occupe l’extrémité occidentale de l’immense archipel qui s’étend des îles Pelew à l’île de Oualan. Les îles dont nos Carolins nous apprirent alors les noms sont marquées sur les cartes du dépôt de la marine à peu près dans l’ordre suivant Ulie, Elat et Satahoual. C’est au milieu de ce groupe que s’élevait jadis, comme une coupe de corail, l’île qu’ils avaient été contraints d’abandonner. « Il s’est fait un trou dans notre île, répétaient avec douleur ces Troyens de l’Océanie, pendant qu’ils essayaient de satisfaire de leur mieux notre impitoyable curiosité ; la mer a pénétré par cette brèche, et nous avons dû nous réfugier au haut de nos cocotiers. » Cette île submergée, cette pléiade perdue, s’est-elle donc affaissée sur elle-même après un de ces tremblemens de terre qui ébranlent si souvent les archipels de la Polynésie ? ou bien, comme le disent les Carolins, un morceau de la barrière qui entourait l’espèce de bassin placé au-dessous du niveau de la mer s’est-il en effet écroulé ? C’est là ce qu’il nous fut impossible d’éclaircir ; mais il est certain que cette île une fois envahie par les flots, ne fût-ce qu’à la suite d’un ouragan, la corruption des sources d’eau douce dut suffire pour la rendre inhabitable et pour obliger les Carolins à chercher vers le nord un ’sol mieux affermi et un asile moins précaire.

La partie occidentale des Carolines, la seule qui ait quelques communications avec les Mariannes, et d’où étaient venus les émigrés que nous avions sous les yeux, est habitée par une race douce, inoffensive, ignorant l’usage des armes, mais très avancée dans l’art de la navigation. Plus à l’est, au contraire, on trouve des sauvages féroces et vindicatifs, que les convicts échappés de Sydney ont contribué à corrompre, que les baleiniers ont armés, et qui seraient des voisins redoutables pour les Carolins occidentaux, si les vents alizés ne retenaient, par leur constance et leur régularité, chacune des peuplades de cet archipel dans son île. Entre les Carolines et les Mariannes, ces mêmes vents rendent la navigation facile. Partant chaque année vers le mois d’avril, les Carolins trouvent, pour atteindre la pointe de Merizo ou pour regagner leur archipel, un vent traversier, égarement favorable