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« Tous ils m’ont délaissé, ces fils ingrats ; mais vous,
« Cœur plein de souvenir, vous les remplacez tous.
« Merci ! » Puis, des soupirs, des tremblemens, des plaintes.
« Ami, je viens chez vous comme chez moi vous vîntes.
« O merveilleux savoir ! charmes secrets et forts !
« Mais je veux, à mon tour, ranimer votre corps.
« Saine et sauve, ma fille est là devant la porte
« Buvez de ce lait doux et fumant qu’elle apporte,
« C’est un baume !… À présent, tâchez de sommeiller. »
Il dormit. Au réveil, cherchant à l’égayer :
« Eh bien ! l’avais-je dit ? vos couleurs sont plus belles.
« Vous sentez la vertu des fécondes mamelles.
« Voulez-vous, au soleil, avec moi faire un tour ?
« Çà, riez, mon vieux Rob ! Faut-il aller au bourg ?
« Moi, je reviens toujours à cette rêverie
« Faut-il quérir le prêtre afin qu’il nous marie ?

— Oui, partez pour le bourg et marchez promptement,
« Car je veux recevoir encore un sacrement,
« Le dernier. Chaque instant m’enlève de ma force.
« Mon ame veut enfin briser sa dure écorce.
« Joie et peine aujourd’hui pour moi s’en vont finir.
« On semble cependant à ce monde tenir
« Quand je ne serai plus, Mona, chaque dimanche,
« Sur ma tombe en passant que votre front se penche.
« S’il est permis, mon cœur vers vous s’envolera… »
Puis, le prêtre venu, le vieillard expira.

V


Humble fut le convoi qui suivit votre bière,
O Robin ! mais ceux-là qu’on vit au cimetière
Étaient de vrais amis, et se souvenant tous
De vos bienfaits passés, car ils priaient pour vous.
Sous ses coiffes de deuil et sa cape de femme,
Cher mort, oh ! vous deviez entendre une bonne ame ;
Celle de qui les pleurs coulaient, coulaient à flots,
Et dont rien ne pouvait retenir les sanglots !…
La nuit, quand vous errez vêtu d’un blanc suaire,
Voyez comme est paré votre lit funéraire !
Un tapis de gazon le couvre tout entier,
Et du lait jusqu’aux bords remplit le bénitier.


A. Brizeux.