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« J’étais heureuse alors, mais que faire sans vous ?
« Oh ! la Mort aujourd’hui veut frapper deux grands coups.
« Voyez ce flanc gonflé : quel bruit ! quelle secousse !
« Et sa langue qui pend ! O ma blanche ! ô ma rousse !
« C’en est-il fait de vous ? Cher soutien de mes jours,
« Le ciel n’enverra-t-il personne à mon secours ? »

Le vieux Robin parut. Un bâton de voyage
L’aidait à soutenir son corps ployé par l’âge ;
Tremblant, il reprenait haleine à chaque pas,
Et, la tête penchée, il se parlait tout bas.
Pour sa grande science et sa grande fortune
Il fut, et bien long-temps, cité dans la commune ;
Mais ses biens partagés entre de mauvais fils,
Par eux il fut chassé, l’homme aux cheveux blanchis
Seul, au bord de l’Izol, à cette heure il habite
Une loge en genêt par lui-même construite ;
Heureux encor pourtant : là, plutôt qu’un docteur,
Chacun vient visiter l’habile rebouteur.

« C’est Dieu, cria Mona, c’est Dieu qui vous envoie !
(Et la vachère avait un front brillant de joie.)
Pitié, Robin, pitié pour ce cher animal !
« Vous savez comment vient, comment s’en va le mal.
« — Hum ! reprit le vieillard en secouant la tête,
« Elle doit grandement pâtir, la pauvre bête !
« Vite, chauffez de l’eau. J’ai là certaine fleur,
« Des herbes… Sans mentir, j’empêche un grand malheur. »
Le foyer allumé, les plantes salutaires,
Dans le chaudron bénit avec de grands mystères,
Bouillirent, et la vache à l’immense fanon
Dut boire la liqueur merveilleuse et sans nom.

Or, voyant respirer sa vache plus à l’aise,
Mona, qui par degrés elle-même s’apaise,
Disait (et ses yeux gris, son visage ridé,
Son sein d’où chaque mot s’échappait saccadé,
En elle tout riait) : « Regardez-moi, bonhomme !
« Je me sens rajeunir. Oui-dà, me voici comme
« Au jour où je dansais avec vous au Pardon,
« D’un rosaire de buis quand vous me faisiez don,
« Lorsque vous me nommiez la fille sans pareille,
« Toute mince de taille et de couleur vermeille ;