Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1797, qui fut la dernière de la république de Venise, Mme Grassini se rendit à Naples, ville que la célèbre cantatrice visitait pour la première fois, à ce qu’on a lieu de croire. Appelée dans cette capitale pour contribuer à l’éclat du mariage du prince héréditaire des Deux-Siciles, qui a été depuis le roi François Ier, père de Mme la duchesse de Berri, le séjour de Mme Grassini dans ce grand foyer de l’art musical a été pour la cantatrice une des époques les plus heureuses de sa vie. Piccinni, qui se trouvait alors à Naples, où il était venu chercher un refuge bien précaire contre les vicissitudes de la révolution française, composa pour Mme Grassini une cantate qu’elle devait chanter à la cour. Un élève de Piccinni, Anfossi, fut assez puissant pour faire échouer ce projet en substituant un morceau de sa composition à celui de son maître. Indigné d’un pareil procédé, le prince Auguste d’Angleterre, qui est devenu plus tard le duc de Sussex, fit chanter dans son hôtel, par Mme Grassini, la cantate de l’illustre compositeur dont on avait méconnu les services. Il n’est pas inutile d’ajouter peut-être que le prince anglais, qui se donnait pour un grand amateur de musique, était alors entièrement subjugué par les charmes de Mme Grassini, dont il était devenu le plus heureux et le plus magnifique des cicisbei. Il subissait avec docilité l’empire de la prima donna assoluta, qui se plaisait à l’atteler à son char comme un coursier de race attestant la puissance de ses beaux yeux. Un jour, cependant, que le prince crut avoir le droit de reprocher à son infidèle quelque péché véniel, il résolut de s’en venger. Il lui manifesta le désir de faire avec elle une promenade sur la mer. C’était par une belle nuit d’été. Au moment où ils voguaient tous deux paisiblement al chiaro di luna qui venait éclairer le beau visage de la sirène étendue mollement comme un serpent amoureux…, elle fut saisie tout à coup par deux mariniers vigoureux qui la jetèrent à la mer. « Mais, dit le duc de Sussex en racontant cette anecdote trente ans après à M. Lablache, ce démon de femme savait nager. Elle se sauva, vint me retrouver le lendemain plus séduisante que jamais, et me fit payer chèrement la leçon de natation que je lui avais donnée. »

Mme Grassini retourna à Milan dans l’année 1800, et c’est là que le général Bonaparte l’entendit pour la première fois dans un concert public qui fut donné après la bataille de Marengo. La belle cantatrice fut remarquée par le vainqueur de l’Italie, qui n’eut garde de laisser aux ennemis de la France une voix si persuasive et des yeux si séduisans. Il la fit donc venir à Paris comme l’un des plus beaux trophées de sa victoire. Mme Grassini se fit entendre pour la première fois aux Parisiens dans une grande fête nationale donnée à l’Hôtel des Invalides, qui s’appelait alors le Temple de Mars, le 14 juillet 1800, pour l’anniversaire de la prise de la bastille. Malgré la présence du général