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lettre autographe du général Bonaparte, adressée au roi des Deux-Siciles. Cette lettre réclamait d’une manière polie, mais péremptoire, la Vénus de Médicis, comme faisant partie des conquêtes de la France. Le roi, qui avait une horrible peur des Français, mais surtout du général Bonaparte, et qui ne se souciait guère de cette Vénus compromettante, qui pouvait devenir un casus belli, un prétexte peut-être pour lui enlever la Sicile, s’empressa de donner des ordres pour qu’elle fût immédiatement remise aux Français. Il fallait obéir. Puccini prit donc rendez-vous avec le consul-général de France à Palerme, qui s’appelait M. Marson, et tous deux se rendirent dans le jardin d’un couvent de capucins, où la Vénus était cachée sous dix pieds de terre. Tandis que l’on déterrait la statue, le chevalier gardait un morne silence, qu’il n’interrompait que pour pester contre la prépotence française. Voyons donc, cher chevalier, lui dit M. Marson, ne vous désolez donc pas ainsi ; ne fallait-il pas que Vénus allât retrouver son Apollon ? — Le chevalier, se tournant brusquement vers lui et le regardant entre les deux yeux : — C’est là justement, dit-il, ce qui me net en colère, car ces gens-là ne feront jamais d’enfans chez vous.

Le mot était rude ; était-il juste ? Peut-être alors l’aurions-nous cru ; aujourd’hui nous en doutons. En effet, depuis Bosio, Cois et Chaudet, ces aigles du commencement du siècle, la statuaire a fait chez nous d’immenses progrès. Il est telles œuvres qui nous paraissent procéder en ligne assez directe de ces dieux, et qui cependant n’ont fait chez nous qu’une apparition bien fugitive. À quelle époque de l’histoire de l’art en France a-t-on pu signaler une réunion de statuaires d’un égal mérite et de styles plus divers, bien que procédant la plupart de la tradition antique : sévères et châtiés sans exclure la grace, comme MM. Simart, Duret et Dumont ; énergiques et pleins d’accent, comme MM. David d’Angers, Rude, Étex et Préault ; fantaisistes brillans, variés et naturels, comme MM. Pollet, Marochetti, Feuchères, Barre, Bonnassieux, Dantan, Courtet et tant d’autres ; universels et réunissant toutes les conditions de l’art, comme MM. Pradier et Barye ? La dernière exposition a prouvé que ce progrès ne s’était pas ralenti. M. Pradier, dans son Atalante, s’est maintenu à sa hauteur ; MM. Clesinger, Jouffroy, Etex et Jaley, talens acquis, n’ont pas démérité aux yeux du public ; M. Barye s’est révélé sous un nouvel aspect dans son groupe du Centaure et du Lapithe. De jeunes talens se sont manifestés avec un certain éclat : parmi eux brillent au premier rang MM. Lequesne et Pollet dans un genre à la fois élevé et gracieux ; MM. Soitoux, Renoir, Bosio et Loison dans le genre héroïque et quelque peu académique ; MM. Demesmay, Cordier, Marcellin, d’Orsay, Leharivel, Fremiet, Caïn et Mène dans les genres les plus divers, où chacun d’eux présente une égale supériorité, et a souvent fait les plus heureuses rencontres.